LES PERSONNALITÉS MULTIPLES, ENTRE THRILLER ET MALADIE MENTALE.

Entre les années 60 et 80, les Etats-Unis assistent à une recrudescence des identités multiples. C’est la maladie mentale la plus controversée de l’histoire du DSM.

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©Vladimir Dunjic

 

Entre 1977 et 1979, une vague de meurtres sordides terrorise les habitants de la ville de Los Angeles! Des jeunes femmes, kidnappées dans la ville, sont retrouvées mortes après avoir été étranglées dans les collines voisines. Le corps des victimes était déposé sur le même versant de la colline dans une position dégradante. Au départ, la police pensait que c’était l’oeuvre d’un seul homme, et le surnomme « l’étrangleur des collines ». Malgré des investigations poussées, la police ne trouve aucun indice qui puisse la mettre sur la  piste du sérial Killer.

Enfin, en 1979, la police arrête les auteurs présumés de ces meurtres, Kenneth Bianchi, un agent de sécurité, ainsi que son cousin, Angelo Buono. La police avait trouvé au domicile de Kenneth Bianchi des bijoux appartenant aux victimes. Les deux serial-killers ont eu une enfance chaotique, et c’est la personnalité de Kenneth Bianchi qui requiert une attention particulière. Sa mère, une prostituée, l’abandonna à la naissance. Il fut adopté à l’âge de trois mois par le couple Bianchi. Sa mère adoptive Francès Scoliono eut du fil à retordre avec cet enfant. Kenneth Bianchi souffrit dès son plus jeune âge de troubles profonds de la personnalité. Sa mère adoptive le décrit comme mythomane et manipulateur depuis la naissance. Il était aussi épileptique depuis ses cinq ans et il s’ajouta  un problème de comportement passif-agressif. Un enfant difficile.

Lorsqu’il sera arrêté, Kenneth Bianchi arguera qu’il souffre du trouble de la personnalité multiple (TPM), une maladie répertoriée à l’époque dans l’axe II du DSM-III, la bible américaine de maladies mentales. Le TPM se caractérise par la présence de deux ou plusieurs personnalités distinctes, les alters, qui prennent le contrôle de la personnalité principale, l’hôte. Le « dédoublement de personnalité » ou la « multiplicité psychologique ». La personnalité principale ignorant l’existence de ses alters, et l’incapacité de se souvenir des faits et gestes des autres personnalités. À chaque changement de personnalité, l’hôte souffre de troubles de la mémoire et d’amnésie.

Kenneth Bianchi pense ainsi plaider l’irresponsabilité pénale puisqu’il souffre de TPM.  Sous hypnose, la technique officielle des expertises psychiatriques dans les années 80, il va affirmer que c’est son double maléfique Steve  qui a tué les jeunes femmes car « elles l’avaient bien cherché».

L’avocat de la partie civile pense que Kenneth Bianchi est un simulateur qui cherche par tous les moyens  à échapper à la chaise électrique, et il demandera une contre-expertise au Docteur Orne, spécialiste des personnalités multiples. Orne va démontrer que le serial-killer simule, et a falsifié son état hypnotique. Peu de temps après, Kenneth Bianchi avouera son mensonge. Après un feuilleton judiciaire inénarrable, les deux cousins vont être condamnés à la prison à perpétuité.

Entre les années 60 et 80, les Etats-Unis assistent à une recrudescence des identités multiples. C’est la maladie mentale la plus controversée de l’histoire du DSM. En 1994, le TPM est transformé en Trouble Dissociatif de l’Identité (TDI) la suite de faux souvenirs d’abus sexuels lors de (toujours aussi faux) rites sataniques.

Anciennement Trouble des personnalités multiples et aujourd’hui Trouble Dissociatif de l’Identité, c’est l’un des troubles les plus sévères des troubles dissociatifs (DSM-5). Il se caractérise par de profonds troubles de la mémoire, de l’identité, de la conscience et/ou perception de l’environnement. Et de la (supposée) présence de plusieurs personnalités prenant le contrôle de l’hôte. Ce qui s’en rapproche le plus est le phénomène de possession.

Comment on est en arrivé outre-Atlantique à diagnostiquer une maladie mentale qui ressemble à de la science fantasy ou à un thriller? La première conception des identités multiples vient de la célèbre fiction de Robert Louis Stevenson, Dr Jeykill et Mr Hyde. Jusque là rien à dire car on demande à une fiction de la créativité.

Côté psychologie, il faut revenir aux fondamentaux. À la fin du XIX° siècle, le neurologue Pierre Janet introduisit la théorie de la dissociation mentale. Janet l’envisage comme un déficit d’intégration du Moi (mémoire, perception). Il va examiner le pouvoir dissolvant de l’émotion, et son effet sur les souvenirs qui vont entrer dans les phénomènes de désagrégation psychologique (succinctement résumé car plus complexe). Freud ne partagera pas la conception de Janet, et envisagera la dissociation avec ses manifestations comme un mécanisme de défense pour se protéger des traumas réels ou fantasmés (succinctement résumé, là aussi).

Freud et ses successeurs vont se montrer sceptiques sur l’existence des identités multiples, car ils mettent en avant, dans la plupart des cas observés, l’impact de la suggestion induite par le thérapeute. Son influence.

La notion de personnalités multiples fascine les auteurs et chercheurs durant la fin du XIX ème siècle et une partie du XX ème siècle. Très peu de cas seront répertoriés jusqu’à celui de Miss Beauchamp rapporté par le psychologue Morton Prince en 1905, et dans les années 50, celui de Chris Sizemore qui inspira le film « Les Trois visages d’Eve » d’après le best-seller écrit par ses trois psychiatres.

Ce n’est qu’à partir des années 70, que le nombre de MPD va exploser outre-Atlantique. En 1986, le cas de MPD dépassera les 6000, et va coïncider avec la sortie du best-seller Sybil. Ce livre raconte l’histoire authentique d’une jeune femme possédant 16 identités. Mécanisme de défense mise en place à la suite des violences sexuelles subies durant son enfance. Par la suite, il sera systématiquement attribué l’origine du TPM à un abus sexuel subi durant l’enfance. Les alters se conduisent à l’opposé de la personnalité et ils émergent curieusement toujours sous hypnose ou sous sérum de vérité (Amytal). C’est à dire lorsque la personne est plongée en état modifié de conscience.

L’origine du trouble des personnalités multiples va être au fil du temps imputé à un trauma subi dans l’enfance, et corrélé à l’abus sexuel (inceste, pédophilie). Le TPM sera intégré au modèle post-traumatique de l’abus sexuel chez l’enfant, générant des mauvaises pratiques thérapeutiques et des procès infondés pour abus sexuels entraînant en cascade des erreurs judiciaires.

Les spécialistes de ce trouble de la personnalité avaient leur recette pour la prise en charge de ce trouble. Il fallait déjà pour en guérir appeler un par un les alters, ces autres personnalités pour les réunifier en une seule personnalité. La méthode utilisée pour contacter les identités était l’hypnose (rien à voir avec l’hypnose médicale répertoriée dans Medline). Quelques thérapeutes comme Allison en 1974, avancèrent l’idée que leurs patients avaient un « aidant alter » capable de connaître les autres identités, et de pouvoir favoriser leur intégration en une seule personnalité.

Le fonctionnement de la mémoire est l’un des indices précieux pour diagnostiquer le TPM (ou DID). Les patients souffrent d’amnésie, qui va de quelques heures à plusieurs jours, où ils sont incapables de se souvenir de ce qu’ils ont pu faire, et de la prise de contrôle de leurs alters. Alors, que les alters connaissent parfaitement les faits et gestes et la personnalité de leur hôte.
Loin des clichés des fictions, ce trouble est toujours pris au sérieux. La controverse autour du DID résiderait non pas sur son existence mais sur son étiologie. Il y a une forte composante culturelle, et l’influence des médias impacte la nature des identités multiples.

Et dans la littérature médicale, il a été rapporté des alters ébouriffants dignes de la Science Fantasy. Il peuvent être d’un sexe différent de l’hôte, Monsieur Spoke de Star Treck, une tortue Ninja, des tigres, des gorilles, des licornes, la fiancée de Satan et même Madonna. Encore plus surprenant, c’est que ces identités multiples peuvent souffrir d’allergies, de troubles du rythme cardiaque, avoir besoin de lunettes alors que l’hôte n’en porte pas.

Selon Scott O.Lilienfeld et Cie dans Science and Pseudo-Science, In Clinical Psychology, estiment que 1 à 2 % des Américains souffrent de DID, en majorité des femmes. Il est principalement diagnostiqué aux Etats-Unis et au Canada, et inexistant en Europe. Cette dominante culturelle si spécifique aux personnalités multiples, et qui est une grande inconnue en France peut être assimilée à la schizophrénie, elle aussi répertoriée dans le DSM. Or, la schizophrénie ne se traduit pas par « une dissociation de l’esprit du malade en plusieurs identité distinctes mais par une personnalité qui a du mal à fixer les contours de sa propre identité.» Or, dans la très grande majorité des cas de TDI, les voix viennent de l’intérieur de l’individu, tandis que, chez les schizophrènes, les voix qu’ils entendent viennent de l’extérieur.

Alors le DSM-5 si controversé parle-il encore des identités multiples ?
Le DID y figure toujours, et se caractérise toujours par deux ou plus alters, par une amnésie, et avec des symptômes invalidants, et que cela ne soit pas du à la prise de substances stupéfiantes, etc…Le DID peut recouper celui des troubles dissociatifs (DD).

Dans le registre état modifié de conscience, pas tout à fait, DID ni/ou DD mais avec un changement de personnalité, Le DSM-5 inclut les expériences de possession avec le trouble de Possession Pathologique (Pathological Possession).

C’est à se demander si le DSM-V ne rend pas fou, et il serait peut-être temps de faire un petit tour du monde normal du pathologique.

Sources:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Kenneth_Bianchi

http://questionspsy.leforum.eu/t2676-La-Dissociation.htm

http://www.dissociation.com/index/definition/

 

 

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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