L’un des principaux dangers qui guette les personnes qui ont une culture scientifique lacunaire est d’ouvrir la porte à la désinformation scientifique. Force est de constater que le discours pseudo-scientifique est parfois plus convaincant et ludique que l’information scientifique taxée parfois de rigide et inhumaine. Ne vous rétorque-t-on pas alors comme un mantra (ces propos de Michel Montaigne) « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» !
Le charlatanisme et les pseudo-thérapeutes sont souvent présentes dans les médecines parallèles (dites douces ou bien encore alternatives). Le tout regroupé sous une novlangue séduisante comme le bien-être, le développement personnel et la psychothérapie. Mais cela ne veut pas dire qu’il faille rejeter toutes ces médecines. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a lancé un deuxième plan stratégique en 2014 pour assurer le développement de ces formes de médecine. L’OMS comptabilise pas moins de 400 médecines complémentaires. Comme il l’est écrit noir sur blanc sur le site de l’OMS: « Dans ce large panel, en France par exemple, l’ordre des médecins reconnaît quatre pratiques: l’homéopathie, l’acupuncture, la mésothérapie et l’ostéopathie. Le code de la santé publique précise que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé ».
Le professeur Loïc Capron interviewé dans un média mainstream, il y a quelques années ne mâche pas ses mots : « il existe une forme de laisser-aller intellectuel qui ne résiste plus aux assauts de la charlatanerie.»
Ce que j’ai lu du témoignage de mon confrère Serge Blisko (président de la MIVILUDES) n’a fait que me conforter un peu plus dans mon doute! Il cite des situations extrêmes mais parle aussi de l’hôpital, réservant un long développement aux dérives qui y sont possibles. Pour moi, le dérapage qui peut exister entre médecines complémentaires, charlatanisme, voire sorcellerie – Serge Blisko donne des exemples qui en relèvent – est le même que celui qu’il peut y avoir entre religion et pratiques sectaires. Nous abordons là des domaines de foi qui gênent beaucoup un esprit scientifique et rationnel…
Et plus loin, il poursuit:
Il existe deux manières de dévier en médecine… On peut tout d’abord inventer des systèmes abracadabrants, avec des thérapies parfaitement imaginaires et parfois toxiques. Ceci est assez facile à dépister. Une autre lubie de certains praticiens consiste à employer de manière non conventionnelle des médecines conventionnelles, à l’encontre de l’avis de la HAS et des préconisations internationales. Comment sérieusement contrôler ces pratiques ? Je ne suis pas sûr que nous en ayons les moyens mais elles existent bel et bien !
La pensée magique ou irrationnelle domine dans les pseudo sciences au détriment de la pensée analytique fondée sur des connaissances scientifiques, en perpétuelle évolution. Le charlatanisme se fait toujours au détriment de la santé des patients, à un moment donné ou à un autre. Les charlatans enfument leurs clients avec un langage ou des cautions scientifiques, alors qu’en fait la théorie est bidon et la pratique à risque.
Il n’y a pas que des personnes insuffisamment formées à l’esprit scientifique, il y a aussi le profil très particulier des alterscientifiques que Alfred Moatti décrit dans son livre « Alterscience, Postures, dogmes et idéologies. Les alterscientifiques sont des hommes de science à forte notoriété, qui à un âge avancé développent une théorie alternative.
La médecine tolère ces médecines complémentaires quand elles sont envisagées conjointement avec les traitements de la médecine conventionnelle, et n’empiètent pas sur un traitement qui a fait ses preuves. La règle pour toute thérapie, qu’elle soit conventionnelle, complémentaire ou alternative devrait être celle du « primum non nocere ». « Ne pas nuire à autrui », ce principal dogme abstentionniste appris aux étudiants médecine de premier année est à appliquer à tout soignant.
Hormis ces deux théories redoutables qui défraient régulièrement les chroniques judiciaires, des remèdes qualifiés de naturel pour lutter contre le cancer sont aussi diffusés et désinforment le grand public.
La liste des méthodes douteuses contre le cancer est longue. On trouve pêle-mêle le cartilage de requin (compléments alimentaires vendus en diététique), le laetrile (extrait du noyau d’abricot), l’essiac (une herbe médicinale), l’appareillage (courant électrique). Et tant d’autres…
Certaines de ces méthodes à risque se pratiquent dans des cliniques. Ce qui induit auprès des patients une caution scientifique qui rivalise avec la médecine scientifique. Comme pour la méthode Linvingston-Wheeler préconisée par Virginia Wheeler qui pensait que les cancers étaient causés par une bactérie trouvée (ou inventée) par elle, le Progenitor Cryptocide. Prescrite dans la clinique privée Linvingston-Wheeler (San Diego, Californie), cette méthode consiste à renforcer le système immunitaire par une détoxification, grâce à un régime végétarien strict, des lavements au café et par l’administration de vaccins spéciaux comme celui du BCG et un autre préparé à partir de l’urine d’un individu spécifique. On rapporte que les patients eurent une qualité de vie significativement plus mauvaise suivant les critères du Functional Living Index-Cancer. La clinique prétendait obtenir 82% de résultats de rémission; ce qui était faux.
L’Australie a fait réaliser, il y a quelques années, une analyse complète des produits et thérapies complémentaires à travers leur méthodologie (absence ou manque d’études randomisées, pas de double aveugle). 17 thérapies se retrouvent sur le banc de touche car elles ne présentent aucun avantage. Parmi elles, la phytothérapie, la méthode Feldenkrais, l’iridologie, la kinésiologie, le shiatsu. Ce n’est pas demain que ces thérapies cesseront d’avoir du succès, peut-être plus que la médecine conventionnelle. La méthode Pilates est aussi critiquée dans cette étude, et pourtant, de nombreux de coachs sportifs font des cours performants avec cette méthode.
Face au charlatanisme et au pseudo-scientisme, il y a également la difficulté pour le grand public de cerner une controverse scientifique qui peut animer les scientifiques entre eux. Dans une controverse scientifique, c’est la pensée analytique qui domine; chacun avance ses arguments en l’état des connaissances scientifiques. La lecture des publications scientifiques n’est pas toujours consensuelle, et chaque médecin a lui aussi sont propre système de croyances en matière de soins.
Comme il est délicat d’évoquer une controverse scientifique actuelle sans provoquer une levée de bouclier, retour vers le passé avec l’histoire de l’encéphalopathie traumatique qui est le thème du film de Peter Landesman « Seul contre tous ». C’est l’histoire du Dr Bennet Omalu, médecin légiste et originaire du Nigeria. En autopsiant les corps de joueurs de football américain, il constate que la répétition abusive de chocs crâniens au cours des matchs provoquaient des maladies neuro dégénératives chez les sportifs de haut niveau. Pendant de longues années, il a été traité de charlatan par ses confrères et il s’était mis à dos la NFL (Ligue Nationale de Football Américain). En 2005, Bennett Omalu publie une étude sur cette maladie diagnostiquée post-mortem, et sera enfin reconnu par ses pairs.
Le » Primum non Nocere » doit rester la règle de base pour tout soignant.
«Inventez une charlatanerie, n’importe laquelle, vous trouverez toujours des hommes qui diront que ça marche, tant notre besoin d’illusion est intense.»(Boris Cyrulnick)
Sources:
http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20160218.OBS4877/l-herboriste-de-la-place-de-clichy-condamne-pour-exercice-illegal-de-la-medecine.html
http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20160303.OBS5760/essai-clinique-de-rennes-les-revelations-du-canard-enchaine.html
http://www.20minutes.fr/rennes/1798243-20160302-essai-clinique-rennes-professeur-critique-laboratoire-portugais-bial