ALTER SCIENCE ET PSEUDO-SCIENTISME: POSTURES, DOGMES, IDÉOLOGIES

Alexandre Moatti démontre dans cet essai très complet comment l’alterscience nous informe – en creux ou en négatif- sur le fonctionnement de la science elle-même. Il cite certains de ses scientifiques renommés qui se sont détournés de la science.

La pensée irrationnelle fait des ravages dans les sciences humaines, la psychologie, et touche curieusement de plus en plus la médecine et tout le domaine de la science. L’un des meilleurs exemples est l’opposition, depuis plusieurs semaines, sur les réseaux sociaux, entre anti vaccins et partisans de la vaccination obligatoire. Si tout débat est légitime, de nombreux mensonges de nature pseudo-scientifique (ou omissions d’ailleurs) peuvent polluer le débat (ou tout débat d’ailleurs sur n’importe quel sujet) et se propager comme une traînée de poudre. Ce post ne vous propose pas de refaire le monde autour de l’intérêt de la vaccination et de ses composants supposés toxiques, mais plutôt d’ouvrir une brèche sur la pensée irrationnelle et les croyances dont ont pu faire preuve, par le passé des scientifiques renommés. Et ce, avec un livre qui remet les pendules à l’heure sur les théories dites alternatives: « Alter Science, Postures, Dogmes, Idéologies » d’Alexandre Moatti. L’auteur est chercheur associé au Laboratoire SPHERE de philosophie et histoire des sciences à l’Université Paris-Diderot. Cet ouvrage date de 2013, mais il est toujours d’actualité et donne matière à réflexion sur certains débats qui agitent régulièrement les actualités médicales et scientifiques..

 

Quel est le sujet du livre?
Un article du site Science et Pseudo Science résume ainsi la pensée de Moatti: il « constate un certain rejet de la science contemporaine et de ses productions : rejet, non seulement de l’utilisation technique qui peut être faite de telle ou telle découverte, mais aussi rejet de la démarche et de l’expertise scientifique voire de l’activité de recherche elle-même.»L’alter science se distingue du pseudo-scientisme comme par exemple l’astrologie. Avec l’alter science, on est dans le domaine des croyances dont la diffusion est facilitée par une certaine notoriété déjà existante de celui qui la diffuse…

Alexandre Moatti démontre dans cet essai très complet comment l’alterscience nous informe – en creux ou en négatif- sur le fonctionnement de la science elle-même. Il cite certains de ses scientifiques renommés qui se sont détournés de la science. L’auteur distingue l’alterscience des pseudo-sciences comme par exemple l’astrologie. L’alterscience relève du domaine des croyances dont la diffusion est facilitée par la notoriété déjà existante de celui qui la propage.
« On connaissait les magiciens de la guérison, les conteurs de cosmogonies exotiques et tous ceux qui ont recours à la pensée magique pour expliquer le monde ou les tourmentes des corps. Voici maintenant les « alterscientifiques » : sous ce mot l’auteur, regroupe des hommes de sciences, souvent reconnus, qui, à un âge avancé, développent une théorie alternative.

Et à l’aide d’exemples, Alexandre Moatti appuie sa démonstration.

Les raisons des  dérives de ces scientifiques sont multiples. Certains sont des scientifiques autrefois reconnus, aujourd’hui en mal d’attention, comme le climatosceptique Claude Allègre, mais d’autres adhèrent à une idéologie, comme les deux prix Nobel de physique, Philipp Lenard (Nobel 1905) et Johannes Stark (Nobel 1919) qui commencèrent à théoriser une « Physique allemande » tout en s’engageant aux côtés d’Hitler.

La version contemporaine, moins connue est le mouvement « solidarité et progrès » de Lyndon Larouche (né en 1922) dont le représentant en France est Jacques Cheminade, candidat aux élections présidentielles en 1995 et à d’autres. S’engageant en faveur l’énergie nucléaire – le titre de leur revue Fusion en dit long- et vantant les mérites de la conquête spatiale, développant une autre histoire des sciences, contestant la physique quantique probabiliste – à cause de la limite qu’elle oppose à la connaissance humaine.

D’aucuns ont eu une révélation! C’est le cas de l’ingénieur Hörbiger, qui un soir d’automne 1894, en observant la Lune a eu l’idée qu’elle était fait d’un bloc de glace, de quoi développer une cosmogonie de glace. À travers une dizaine d’exemples – depuis l’affaire des avions renifleurs jusqu’aux tenants du géocentrisme, Alexandre Moatti démontre dans cet essai très complet comment l’alterscience nous informe – en creux ou en négatif- sur le fonctionnement de la science elle-même.

Et qui ne se souvient pas de la fameuse imposture scientifique de la « mémoire de l’eau » du Dr Jacques Benvenista? C’était en 1988, et c’est sous ce titre « Une découverte française pourrait bouleverser les fondements de la physique: la mémoire de l’eau » que le  journal le Monde titra cette supposée nouvelle révolution copernicienne. De la physique quantique? Que nenni! Le Dr Jacques Benveniste, médecin et biologiste directeur de l’unité 200 de l’Inserm avait découvert que l’eau avait une « mémoire », et offrait ainsi une légitimité rationnelle au fonctionnement sous-jacent de l’homéopathie, supposant démentir les arguments de ses détracteurs sur son efficacité et un unique effet placebo.

La fameuse revue Nature se prêta au jeu de cette théorie en proposant une expérimentation sur la mémoire de l’eau et sa conclusion fût la suivante: Elle « accusa le coup et publia un rectificatif concluant : « L’hypothèse selon laquelle l’eau garderait la mémoire d’une substance qu’on y a diluée est aussi inutile que fantaisiste. ». Mais trop tard, le mal était fait, Nature (et le Monde du même coup) s’était ridiculisé en publiant un article avant d’en avoir vérifié le contenu (ce ne sera pas la seule fois) cédant aux sirènes du scoop, tout le tapage médiatique de l’extraordinaire « nouvelle » fit certainement beaucoup plus de bruit que celle de son démenti.» (

L’intérêt de cet ouvrage est indéniable et il développe l’esprit sceptique et cerne avec des exemples pertinents les parti-pris anti-scientifiques. Et il s’en trouve des alterscientifiques pour brouiller les fondements de la science.

 

Notes: 

 Extrait de l’article du site « Moatti1 constate un certain rejet de la science contemporaine et de ses productions : rejet, non seulement de l’utilisation technique qui peut être faite de telle ou telle découverte, mais aussi rejet de la démarche et de l’expertise scientifique voire de l’activité de recherche elle-même. Son objectif, dans cet ouvrage, est de dégager, en s’appuyant sur des exemples contemporains et historiques, les traits de pourfendeurs de la science. Ceux-ci, souvent scientifiques ou ingénieurs de formation ou même de profession, s’élèvent contre la science académique et développent, en parallèle à celle-ci, une science « autre » qui est aussi une science « altérée », que l’auteur appelle justement, en référence à ces deux aspects, « alterscience ». Ces dérives sont retrouvées dans les divers domaines scientifiques, la physique, la cosmologie, la biologie : en fait, l’alterscience a, souvent, une visée explicative globale et s’inscrit en opposition au réductionnisme scientifique.»

LORSQUE L’ENFANT TÉMOIGNE

Les expériences de laboratoire les plus connues sur les distorsions de la mémoire sont celles de la psychologue cognitiviste Élisabeth Loftus, experte auprès des tribunaux américains.

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Dans les années 50, tandis qu’il opère sous anesthésie locale, le neurologue canadien Wilder Pienfield a l’idée de stimuler le lobe temporal de ses patients épileptiques. C’est l’occasion idéale de leur faire décrire leurs sensations. Une quarantaine de patients rapportent avoir des flash-back. Qu’entendent-ils par ce terme de flash-back? Ils les décrivent comme des images mentales sensorielles qu’ils interprètent comme des souvenirs. Ces récits sont extrêmement convaincants pour ceux qui les écoutent car ils sont structurés et cohérents. Penfield en tire la conclusion que les expériences et les émotions sont inscrites de façon indélébile dans notre cerveau. Dans ses écrits, Penfield explique ces flash-back comme des souvenirs oubliés, et il comparera la mémoire à un magnétophone : « les souvenirs laissent une trace permanente dans le cerveau… comme si un magnétophone les avait enregistré».

Évidemment, aujourd’hui, le magnétoscope est un objet obsolète, et si Penfield était encore de ce monde, il parlerait de disque dur d’ordinateur, du Cloud et pourquoi pas de « Replay », ces programmes de télé et de radio que l’on peut visionner ou entendre à volonté. Peu importe l’analogie que l’on lui attribue, ce qu’il faut retenir, c’est l’idée du fonctionnement pseudo-scientifique de la mémoire.

Car l’analogie du magnétoscope de Wilder Penfield fera le lit théorique de la flopée des techniques douteuses censées récupérer les souvenirs oubliés lors d’un traumatisme.  L’amnésie de ces faits protègerait de la souffrance insupportable d’un trauma. Cette forme d’amnésie qui sert de scénario fantastique à des films de télé ou de cinéma dignes de Hitchock!

Elle est connue sous le nom d’amnésie traumatique ou dissociative. Ce qu’il faut souligner, c’est le mésusage de ces termes avec probablement une controverse scientifique. Le médecin blogueur Marc Gozlan explique remarquablement les réalités biomédicales de l’amnésie dissociative, et le lecteur curieux pourra s’y reporter. Bref, l’image du magnétoscope s’est popularisée et  s’est ancrée dans les mentalités collectives pour parler de la mémoire et la formation  des souvenirs.  Sans connaissances et mises à jour sur le fonctionnement de la mémoire sur les règles de l’Evidence Based medecine, il est délicat de faire témoigner à la barre des jeunes enfants ou des adultes racontant leurs souvenirs d’enfance.

Aujourd’hui, les observations du neurologue canadien Wilder Penfield sont battues en brèche par les dernières découvertes neuroscientifiques sur l’encodage des souvenirs. Il ne faut pas jeter la pierre à Penfield et le décrire comme un charlatan; nous étions dans les années 50 et l’imagerie médicale n’existait pas. Sa cartographie des zones du cerveau est encore d’actualité, et il est un précurseur de la neurochirurgie. Aujourd’hui, les neurosciences démontrent que le neurologue canadien a tort sur le fonctionnement de la mémoire. Elle n’est en aucun cas un processus mécanique prévisible et fiable qui marche comme un magnétoscope. La mémoire n’est pas un archivage d’images et d’expériences comme dans un film; elle est organisée en réseau d’innombrables activités distinctes, accomplies chacune dans une aire du cerveau (visible sur l’imagerie médicale).

Dans les années 70, des psychologues spécialisés dans les distorsions de la mémoire déduisent qu’ils sont reconstruits par assemblages de morceaux de fiction et de faits, et que des faux souvenirs peuvent être induits par les attentes ou les suggestions de l’entourage. Les expériences de laboratoire les  plus connues sur le sujet sont celles de la psychologue Élisabeth Loftus, experte auprès des tribunaux américains. Oui, cela semble impossible, mais on peut inciter des gens à se rappeler un événement d’une manière différente dont ils l’avaient mémorisé. Et ce juste par la suggestion!  À partir du moment, où l’on a un souvenir falsifié, on y croit aussi fortement que s’il s’agissait d’un souvenir authentique. On peut même jusqu’à remplacer d’anciens « vrais » souvenirs par de nouveaux « faux »souvenirs. C’est incroyable, mais c’est scientifiquement démontré.

L’un des étudiants d’Elisabeth Loftus, Jim Croan a créé un faux souvenir chez son frère de 14 ans, Chris. Il le persuada, à partir de détails consignés dans un journal mêlant vraies et fausses anecdotes de leur enfance, qu’il s’était perdu dans une galerie commerciale lorsqu’il avait cinq ans. Quand Chris apprit que le souvenir de la galerie commerciale était faux, il n’arrivera pas y croire un bon bout de temps.

Aujourd’hui, les neurosciences confirment les expériences de laboratoire de psychologie expérimentale sur la distorsion de la mémoire faites dans les années 70. Récemment, des neuroscientifiques américains sont parvenus à créer des souvenirs de peur artificiels chez des rongeurs. C’est la mémoire déclarative que les chercheurs ont manipulé chez la souris en  lui implantant ces faux souvenirs. C’est celle qui permet de stocker (à court et à long terme) des données telles que numéros de téléphone, noms, lieux, etc. Et c’est elle qui est concernée par les faux souvenirs. L’autre mémoire est la mémoire implicite qui  intervient dans les apprentissages complexes, et elle ne rentre pas en jeu dans la distorsion de la mémoire et des faux souvenirs; même si les deux formes de mémoire sont interactives. On penserait qu’avec toutes ces nouvelles connaissances relatives sur les distorsions de la mémoire, on connaisse comment marche la mémoire et se forment les souvenirs, vrais ou faux.

 

Ce n’est pas le cas. C’est ce que constate le psychologue Mark Lhowe (Université de Londres), interviewé en 2012 par Dan Vergano du National Geographic. Six années se sont écoulées depuis cette interview,  mais les préjugés sur la mémoire infantile sont toujours aussi tenaces. Elles sont toujours ancrées chez les fonctionnaires de police, la justice, les jurés et les avocats. Particulièrement pour tout ce qui touche aux témoignages de jeunes enfants appelés à la barre pour des faits qui se sont déroulés durant leur enfance. Idem pour des adultes appelés à la barre pour parler de faits qui se sont passés lorsqu’ils étaient petits, vingt ou trente ans après. Les neuroscientifiques sont très sceptiques face à la parole de l’enfant. Pourquoi? L’une des croyances répandues dans le milieu de justice aux Etats-Unis et en Europe, est celle  de la précision des souvenirs des enfants, et cela peut suffire à faire condamner quelqu’un pour un crime, sans autres preuves. Ils ignorent (la plupart du temps) comment se forment les souvenirs, comment ils s’altèrent avec le temps, et l’impact des émotions et du stress sur leur consolidation. Jusqu’à l’âge de neuf ans, la mémoire n’est pas suffisamment développée pour se rappeler de manière fiable des faits marquants. On ne peut saisir qu’un aperçu de ces événements sans pouvoir rentrer dans les détails.

L’une des plus célèbres affaires de témoignages manipulés d’enfants fut celle de McMartin dans les années 80, en Californie. Il s’agissait d’accusations d’abus sexuels et de rites sataniques pratiqués sur les enfants d’une maternelle. Les charges ne furent abandonnées que 10 ans après car on s’est aperçu que les souvenirs d’abus avaient été implantés dans l’esprit des enfants par les enquêteurs, et ensuite pris au pied de la lettre par la justice.

Malgré ces affaires retentissantes qui incitent à la vigilance, et en l’état actuel des connaissances scientifiques qui entérinent la malléabilité de la mémoire, la justice et la police restent toujours aussi confiants dans le témoignages des enfant. Notamment, ils ne savent pas que la mémoire se développe lentement au cours de l’enfance, et que la plupart des souvenirs sont complètement effacés avant l’âge de 18 mois. C’est ce qu’on appelle l’amnésie infantile. Après cette période, les souvenirs ne sont pas aussi détaillés que ceux un adulte; idem pour un adulte qui raconte ses souvenirs d’enfance. Les souvenirs des enfants sont connu pour être fragmentés et décontextualisés. Un récit trop détaillé doit inciter à la prudence. Il est forcément brodé ou créé, et sans nul doute inconsciemment. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé, et que l’enfant ment sur toute la ligne. Les jeunes enfants peuvent avoir raison sur le factuel mais leur récit ne peut pas être détaillé. Par exemple, s’il parle de la couleur d’un vêtement ou du temps qu’il faisait le jour de cet événement, cela doit éveiller les soupçons. Chez tout le monde, les vrais souvenirs se  déforment avec le temps.

C’est encore une idée reçue de penser que les souvenirs d’événements stressants ou traumatiques soient conservés plus longtemps que les autres. Il y a confusion entre la conservation des souvenirs et  la prégnance d’images mentales (flash-back) observées dans la mémoire traumatique et le stress post-traumatique. En 2006, une enquête montre que plus de la moitié des juges et les officiers de police et des jurés pensent que les expériences traumatisantes peuvent être oubliées sur de longues périodes, une forme d’amnésie, et peuvent resurgir à la surface de la mémoire par divers moyens. Et c’est ce que pense  encore un quart des experts auprès des tribunaux. Lorsqu’on fait appel à des témoignages oculaires d’enfants ou d’adultes racontant des tranches de vie sur leur petite enfance, il faudrait tenir compte de l’âge auxquels les souvenirs ont été formés pour l’événement concerné, le type d’informations contenues dans le récit, et la durée de rétention de cette information: quelques semaines, quelques mois, un an ou deux, ce n’est pas dix ans, vingt ou trente ans…

Alors, quels sont les processus cérébraux qui font la fiabilité d’un témoignage? Le stockage des souvenirs? Leur récupération? Ou encore une combinaison ? En fait, il s’agirait d’une combinaison qui varie lorsque l’information a été codée, stockée en fonction de l’âge et comment elle s’est conservée au fil du temps. L’encodage des souvenirs, c’est tout un processus qui varie avec al maturité du cerveau!
Malgré la vague de faux souvenirs constatée  outre-Atlantique dans les années 80, et qui touche dix ans plus tard -dans une moindre mesure l’Europe-, il n’existe à l’heure actuelle aucun « protocole » pour savoir si les souvenirs sont vrais ou faux, savoir comment ils ont été encodés et comment ils ont été conservés. Pour être efficace et faire condamner les vrais coupables, l’ensemble du système judiciaire aurait besoin de savoir comment marche la mémoire (en général et lors d’un traumatisme) afin qu’il y ait moins d’idées reçues pseudo-scientifiques ou obsolètes sur son fonctionnement ; connaître le mécanisme de la reconstruction d’un souvenir, la mémoire de distorsion et la mémoire traumatique.

 

En conclusion, lorsqu’on s’appuie sur le témoignage d’un enfant, on ne peut avoir qu’un instantané du passé et non pas un verbatim de ce passé. Nous avons tous cette étrange impression que nous nous rappelons d’une façon exacte le passé. Et non ! Nos souvenirs ne reproduisent jamais fidèlement la réalité. Il sont toujours reconstruits. Notre mémoire nous aide à comprendre nos expériences passées. Elle ne marche pas comme un magnétoscope ou un film qui visionne le passé. Si analogie, il y a, elle serait une lentille adaptée et modelée par nos expériences pour appréhender notre environnement. Notre mémoire nous aide à interpréter le présent et anticiper l’avenir.

Sources:
 
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