ABUS DE FAIBLESSE ET AUTRES MANIPULATIONS

Il est tout à fait possible de sortir du statut de victime et d’échapper aux manipulateurs. L’efficacité d’une manipulation ne dépend pas de la prédisposition d’une personne mais de l’habileté du manipulateur.

 

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Le livre « Abus de Faiblesse, et autres manipulations » de Marie-France Hirigoyen, publié en 2012, est à lire plutôt deux fois qu’une! L’auteure est psychiatre, psychanalyste et victimologue.

Elle n’en est pas à son premier coup d’essai. Déjà en 1999, Marie-France Hirigoyen avait publié « Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, et ses analyses sont à l’origine de la loi sanctionnant le harcèlement moral. Son livre « Abus de Faiblesse et autres manipulations » est un ouvrage majeur sur la manipulation mentale à mettre entre toutes les mains. Nous sommes tous manipulés, tous manipulateurs à des degrés divers. Marie-France Hirigoyen décrypte avec finesse, à l’aide de faits divers, les frontières à ne pas franchir pour aliéner l’autre, le mettre sous sujétion mentale pour pas devenir victime de « personnes de mauvaise compagnie ».

Le postulat de départ est le suivant:  « La manipulation fait partie de la vie, ce qui fait la différence, c’est l’intentionnalité.» À partir de la loi sur l’abus de faiblesse, l’auteur analyse les situations où un individu « profite » d’une personne vulnérable ou trop crédule. Un escroc qui profite de la faiblesse d’une femme pour lui soutirer de l’argent, une dame âgée qui fait d’un jeune protégé son héritier, une épouse abandonnée qui persuade ses enfants que leur père ne les aime pas, un homme riche et puissant qui force une relation sexuelle avec une subordonnée, et tous les chantages affectifs qui perturbent nos vies minuscules… Autant de cas qui démontrent que l’abus de faiblesse s’exerce dans tous les domaines des rapports humains. Personnes âgées, enfants, adultes en état de sujétion psychologique: où commence l’influence normale et saine et où commence la manipulation?

En se fondant sur son expérience clinique, l’auteur interroge la notion de consentement et les dérives des comportements inappropriés, une expression dont le flou indique, ô combien, nous sommes démunis face aux limites à poser aux autres sans être liberticide ou asocial. Au terme de cette quête aussi précise qu’inspirée, Marie-France Hirigoyen démontre que le statut de victime n’est pas irréversible.
Dans son livre, Marie-France Hirigoyen ne manque pas  de citer l’excellent ouvrage de Robert Vincent Joule et de Léon Beauvois « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens» . Les deux psychosociologues on fait la synthèse de ces techniques de persuasion destinée à provoquer le consentement de l’autre, lui laisser l’illusion d’un sentiment de liberté dans sa décision.

Marie-France Hirigoyen décrit quelques unes de ces techniques qui peuvent mener à l’abus de faiblesse: notamment, la technique du pied dans la porte où on obtient d’abord l’accord d’une personne à une petite requête qu’on lui soumet, et en fait préparatoire pour obtenir une requête plus importante. Par exemple, on commence par demander l’heure à quelqu’un avant de lui demander de l’argent pour prendre le bus, la probabilité d’obtenir de l’argent sera beaucoup plus grande s’il n’y avait pas eu cette requête préparatoire.

Le doigt pris dans l’engrenage, au nom du principe de cohérence, une personne peut se retrouver dans un processus d’escalade, et son engagement demandera de plus en plus d’investissement et qui s’avérera de plus en plus aliénant pour elle.

La technique de l’amorçage part du principe que les gens ont du mal à revenir sur une décision qu’ils ont prise et on amène un sujet à réaliser petit à petit un acte dont on lui cache (provisoirement) le coût réel. On lui annonce après la réalité de la situation avec ses contraintes. L’interlocuteur se sent alors obligé de maintenir sa référence. Le leurre conduit un sujet à prendre une décision qui finalement ne se concrétisera pas. On lui présentera néanmoins une alternative pour réduire sa frustration. Et la mise sous emprise va marquer une nouvelle étape qui s’installe dans le temps au point de créer une véritable relation pathologique. C’est un phénomène naturel qui peut advenir dans tout rapport humain,  et n’est pas toujours négatif

Marie-France Hirigoyen parle de l’emprise mentale exercé par un adulte sur un enfant, et elle le décrypte à travers un syndrome contesté qui est celui de l’aliénation parentale, décrit en 1986,  par Richard Gardner, pédopsychiatre à l’Université de Columbia.

Et il y a dans cet ouvrage l’incontournable sujétion amoureuse et sexuelle! Cette thématique tombe en plein dans le mille depuis l’affaire Weinstein et les hashtags maudits #BalanceTonPorc et #MeToo. Rappelons le, l’analyse de Marie-France Hirigoyen date de 2012, et ce qui se passe aujourd’hui relève de sa grille de lecture psychiatrique. Marie-France Hirigoyen décrit le stalking, proche du harcèlement par intrusion. Dans ce type de harcèlement, un individu s’infiltre dans la vie de l’autre, envahit son intimité par des intentions non désirées, que celles-ci soient positives ou négatives. Dans presque tous les pays anglo-saxons, des lois anti-stalking ont été adoptées contrairement à la France.

Depuis l’affaire Weinstein, notre pays se déchire entre néo-féministes et leurs opposants sur les violences sexuelles faites majoritairement aux femmes, et même si les hommes peuvent  être concernés, les chiffres sont implacables. On a parfois l’impression en lisant certains propos (sur le net) que l’emprise mentale et l’abus de faiblesse n’existent pas,  et ne concernent que des personnalités faibles. Bref ils sont joyeusement occultés. La victime est dans son tort si elle entame une quelconque action, même s’il faut s’interroger sur d’éventuelles allégations mensongères. Il est manifeste que ce sujet, brulant d’actualité, est en train d’échapper aux professionnels de la santé car  l’idéologie politique et la réthorique manichéenne prennent le pas sur tout discours rationnel,  laissant sur le bord de la route nombre de victimes anonymes dépassées par tous ces discours clivants. Le climat médiatique est tellement tendu qu’on peut s’interroger sur l’accueil que recevraient aujourd’hui les ouvrages de Marie-France Hirigoyen s’ils étaient publiés cette année. Lynchage virtuel ou « Name and Shame » en perspective, probablement! Mais après ce focus sur l’actualité, revenons au sujet du livre.

Dans son livre, Marie-France Hirigoyen brosse le portrait des manipulateurs et imposteurs. Qui ne connaît l’ouvrage le Harcèlement Moral ou elle décrit les pervers narcissiques. Le portrait psychologique du harceleur pervers narcissique a été dévoyé par le grand public, et dans cet ouvrage sur l’abus de faiblesse, elle remet les pendules à l’heure. Selon elle, il ne faut pas taxer quelqu’un trop vite de pervers. Un individu normalement névrosé peut recourir à des défenses perverses, sans autant pour être une personnalité pathologique. Et les comportements pervers se sont banalisés.

La psychanalyste fait le distinguo entre les classifications françaises inspirées de la psychanalyse où l’on parle de perversion morale ou de perversion de caractères la classification anglo-saxonne fondée sur une approche clinique purement descriptive. Elle place ces pathologies de caractère entre les personnalités narcissiques et les personnalités antisociales ou psychopathes.

Ce ne sont que quelques thèmes qui sont abordés dans ce post mais on ne peut que recommander de lire ce livre pour la richesse de ces exemples qui font écho en chacun de nous. Car tout le monde peut-être victime d’un manipulateur, d’un imposteur ou d’un escroc.

Même la communauté psychanalytique n’y a pas échappé avec le psychanalyste Masud Khan, d’origine pakistanaise. Il avait entrepris une psychanalyse avec Donald Winnicott  et va devenir analyste et formateur en 1959 après s’être spécialisé en psychanalyse d’enfants. Il sera banni de la communauté psychanalytique pour de nombreuses transgressions inacceptables comme en 1976,  où il est accusé de relations sexuelles avec des étudiantes et des analysantes. En 1987-1988, il fait des remarques antisémites dans son étude analytique. À noter que les travaux de Masud Khan sur le « le traumatisme cumulatif » sont encore cités par certains psychanalystes.

Tous les cas évoqué dans le livre de Marie-France Hirigoyen ne sont pas exceptionnels, et peuvent arriver à tout le monde. Cela peut aller de l’embrigadement dans une secte, de la sujétion amoureuse ou de l’escroquerie commerciale. La psychiatre a un talent  rare pour déculpabiliser le lecteur. Le message est positf! Il est tout à fait possible de sortir du statut de victime et d’échapper aux manipulateurs. L’efficacité d’une manipulation ne dépend pas de la prédisposition d’une personne mais de l’habileté du manipulateur!
« Plus Ils sont subtils, plus grand est le risque de se faire piéger, quelque soit la vigilance de l’interlocuteur.»

À PARTIR DE QUEL ÂGE, PEUT-ON AVOIR DES SOUVENIRS?

A 7 ans, les souvenirs de la prime enfance s’effacent pour laisser le champ libre à une mémoire autobiographique plus riche et plus complexe.

 

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©Norman Rockwell

L’ensemble de nos expériences, de nos connaissances et de nos apprentissages sont  engrangés dans notre mémoire, et se réactivent avec les souvenirs.  La mémoire est une représentation du passé, une capacité fondamentale qui joue un rôle vital dans le fonctionnement social, affectif et cognitif. On a longtemps pensé que les enfant ne pouvaient pas se souvenir d’évènements comme les adultes. Cette croyance s’est basée sur le fait que les personnes se souviennent rarement d’évènements personnels datant d’avant l’âge de trois ans et demi; et cette période est appelée amnésie infantile.

Freud fût l’un des premiers à parler de l’amnésie infantile, et ce dans ses Trois Essais sur la théorie de  la sexualité (1915/1916). Freud y affirme que la plupart d’entre nous ne se souviennent plus de leurs souvenirs les plus précoces (durant les trois premières années de leur vie).

Les détracteurs de Freud parlent de fariboles. Selon eux, Freud ne s’est pas appuyé sur la biologie de la mémoire mais l’a vu comme un «phénomène essentiellement psychique». Cette théorie a fait le lit de dérives en psychothérapie en laissant supposer que les souvenirs étaient récupérables à volonté. Avant de décrier les concepts psychanalytiques, de jeter le bébé avec l’eau du bain, il faut remettre les pendules à l’heure. L’apport de Freud est incontestable, et il faut  simplement réactualiser son concept d’amnésie infantile en l’état des connaissances scientifiques sur le fonctionnement de la mémoire. Depuis 1925, il s’en est passé de l’eau sous le pont…

Ainsi, aucun distinguo n’avait été fait comme aujourd’hui entre les différentes divisions de la mémoire. La mémoire de travail qui permet de retenir des représentations pendant plusieurs secondes, et la mémoire à long terme qui permet de se remémorer des évènements tout au long de notre vie. Et dans cette mémoire à long terme, la mémoire non déclarative incluant les habiletés d’apprentissage et l’amorçage  et celle déclarative. Les souvenirs non déclaratifs sont inaccessibles à la conscience,  et la mémoire déclarative est présente dès la naissance. Quand on parle de se rappeler des  souvenirs, c’est de la mémoire déclarative dont il s’agit. C’est se souvenir consciemment de noms, d’objets et des évènements.

À l’époque de Freud, on pensait que les enfants étaient incapables de former des représentations stables des événements et, ne parvenaient pas s’en souvenir. Cette croyance se basait sur le fait que les adultes ne se souviennent de fait qu’à partir de l’âge de trois ans et demi. Or, on sait aujourd’hui, grâce aux progrès de l’électrophysiologie et de la neuro imagerie, que les enfants sont dotés d’une mémoire autobiographique, et qu’ils stockent des souvenirs d’événements. Que leur mémoire autobiographique fonctionne sur un modus operandi différent de l’âge l’adulte.

Concernant l’enfant de moins de trois ans, il est difficile de mesurer avec fiabilité la mémoire déclarative. Les tests sont plus adaptés à des enfants plus âgés ou à des adultes.

Le cerveau des enfants se développe rapidement de la naissance jusqu’à la deuxième année de leur vie. Mais ce développement est inégal suivant les zones du cerveau, surtout en ce qui concerne les zones du cerveau concernées par la mémoire déclarative. Ainsi, une partie des cellules de l’hippocampe (lobe temporal média) nécessaire à la mémoire déclarative serait formée dès la période prénatale, excepté les cellules du gyrus denté de l’hippocampe qui ne sembleraient parvenir à maturité avant l’âge de 12 à 15 mois. Le cortex préfrontal impliqué dans la fonction mnésique atteint son maximum entre 15 et 24 mois. Et des changements ont lieu jusqu’à l’adolescence.

Cette « amnésie infantile » est une faculté d’oubli salutaire pour la construction de la mémoire. Des chercheurs de l’université d’Emory (Atlanta, USA) se sont livrés à une étude sur la capacité d’enfant de trois ans à se souvenir; et ce pendant plusieurs années à des âges différents -5, 6, 7, 8 ans- sur des événements simples comme une fête d’anniversaire ou une visite au zoo.

Les enfants de 5 à 7, ans se souvenaient de 65 à 73 % de ce qu’ils avaient vécu  avant leur trois ans, les enfants de 8 et 9 ans  que de 35%. La mémoire des plus âgés était plus précise et plus riche alors que celle des plus jeunes est  « plus éparse, et plus aléatoire».

A 7 ans, les souvenirs de la prime enfance s’effacent pour laisser le champ libre à une mémoire autobiographique plus riche et plus complexe. Cette faculté d’oubli, cette amnésie infantile est aussi importante que la mémorisation.

Dans son livre autobiographique, « Je me souviens »… Boris Cyrulnik parle de son enfance à Bordeaux, de son arrestation, et de son évasion pour échapper aux rafles des soldats allemands. Il ne parle pas de souvenirs antérieurs avant l’âge de cinq ans. Il reconnaît que ce ne sont pas des histoires mais des odeurs, des sons, des couleurs en toile de fond du souvenir. Il parle de flashs comme d’avoir été refusé à la porte d’un orphelinat, fuyant une institution encapuchonné. Ses souvenirs «ne forment pas un ensemble cohérent», mais plutôt un patchwork d’où émergent des images très precises : des morceaux de vérités claires dans un ensemble flou incertain.»

Ce n’est que dans la relation à l’autre que nos souvenirs se construisent. Dans l’étude d’Emory ce sont les parents qui posaient les questions à leurs enfants sur ces évènements. Autrui, ici les parents, sont déterminants car ils participent à la construction des souvenirs de leurs enfants.

Ce qui a été dit, précédemment, concerne la mémoire normale, et l’on pourrait supposer qu’il en est différemment pour la mémoire d’un enfant qui a vécu un trauma. C’est ce qu’écrit Boris CyrulniK dans « Je me souviens »: « La mémoire traumatique est faite d’images hyperprécises, et qu’autour de ces flashs, on recompose une histoire…ce sont des morceaux de vérité qu’on arrange, comme dans une chimère, toutes les parties sont vraies, mais la chimère n’existe pas »

L’étude d’Emory sur des enfants qui suivent un développement normal s’applique-t-elle à des enfants qui ont vécu des événements tragiques et traumatisants? Comment leur mémoire fonctionne-t-elle? Déjà, au départ, il est difficile d’appliquer les critères du stress post-traumatique de l’adulte à un enfant, et les chercheurs en sélectionnent quelques uns en les recentrant sur une description comportementale des symptômes. Alors toutes les supputations sur ce qu’a vécu un enfant sont permises, et le professionnel doit s’entourer de précautions avant de se livrer à des interprétations subjectives. L’un des dangers principaux est de méconnaître le fonctionnement de la mémoire d’un enfant lorsqu’un adulte raconte des souvenirs de traumas avant l’âge de 7 ans, et en fait un souvenir avec une mémoire d’adulte.

La mémoire et les souvenirs sont intimement liés aux étapes de la conscience. La mémoire est dépendante de la vie mentale. Celle de l’enfant est beaucoup plus limitée que celle des adultes chargée de réminiscences, de réflexes, de rêveries et d’anticipation, de productions imaginaires. La capacité et la construction des souvenirs chez l’enfant sont liés aux étapes de conscience décrites par Piaget.

Les progrès de la neuro imagerie et de la physiologie de la mémoire ne doivent pas faire oublier que le développement de la mémoire n’est pas linéaire, et s’accompagne d’autres facultés comme le langage, la capacité de raconter, les stratégies mnésiques, le raisonnement et la capacité de résoudre des problèmes.
Alors, l’amnésie infantile, oui, elle existe comme faculté d’oubli indispensable liée aux étapes de la conscience. Et les connaissances scientifiques actuelles sur le fonctionnement de la mémoire, oui, peuvent  coexister avec la psychanalyse. Mais avec les neurosciences qui appliquent les règles de l’Evidence Based Medecine.

 

Sources:

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-souvenirs-de-la-petite-enfance-s-effacent-a-partir-de-7-ans_19042

http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier/surprises-memoire-infantile-01-07-2001-68953
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1548
http://psycha.ru/fr/dictionnaires/laplanche_et_pontalis/voc20.html
http://www.enfant-encyclopedie.com/documents/Bauer-PathmanFRxp.pdf

http://www.enfant-encyclopedie.com/cerveau/selon-experts/la-memoire-et-le-developpement-precoce-du-cerveau

 

 

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