À PARTIR DE QUEL ÂGE, PEUT-ON AVOIR DES SOUVENIRS?

A 7 ans, les souvenirs de la prime enfance s’effacent pour laisser le champ libre à une mémoire autobiographique plus riche et plus complexe.

 

d61e4ded8474d8aa9a161ef00af5aaa0
©Norman Rockwell

L’ensemble de nos expériences, de nos connaissances et de nos apprentissages sont  engrangés dans notre mémoire, et se réactivent avec les souvenirs.  La mémoire est une représentation du passé, une capacité fondamentale qui joue un rôle vital dans le fonctionnement social, affectif et cognitif. On a longtemps pensé que les enfant ne pouvaient pas se souvenir d’évènements comme les adultes. Cette croyance s’est basée sur le fait que les personnes se souviennent rarement d’évènements personnels datant d’avant l’âge de trois ans et demi; et cette période est appelée amnésie infantile.

Freud fût l’un des premiers à parler de l’amnésie infantile, et ce dans ses Trois Essais sur la théorie de  la sexualité (1915/1916). Freud y affirme que la plupart d’entre nous ne se souviennent plus de leurs souvenirs les plus précoces (durant les trois premières années de leur vie).

Les détracteurs de Freud parlent de fariboles. Selon eux, Freud ne s’est pas appuyé sur la biologie de la mémoire mais l’a vu comme un «phénomène essentiellement psychique». Cette théorie a fait le lit de dérives en psychothérapie en laissant supposer que les souvenirs étaient récupérables à volonté. Avant de décrier les concepts psychanalytiques, de jeter le bébé avec l’eau du bain, il faut remettre les pendules à l’heure. L’apport de Freud est incontestable, et il faut  simplement réactualiser son concept d’amnésie infantile en l’état des connaissances scientifiques sur le fonctionnement de la mémoire. Depuis 1925, il s’en est passé de l’eau sous le pont…

Ainsi, aucun distinguo n’avait été fait comme aujourd’hui entre les différentes divisions de la mémoire. La mémoire de travail qui permet de retenir des représentations pendant plusieurs secondes, et la mémoire à long terme qui permet de se remémorer des évènements tout au long de notre vie. Et dans cette mémoire à long terme, la mémoire non déclarative incluant les habiletés d’apprentissage et l’amorçage  et celle déclarative. Les souvenirs non déclaratifs sont inaccessibles à la conscience,  et la mémoire déclarative est présente dès la naissance. Quand on parle de se rappeler des  souvenirs, c’est de la mémoire déclarative dont il s’agit. C’est se souvenir consciemment de noms, d’objets et des évènements.

À l’époque de Freud, on pensait que les enfants étaient incapables de former des représentations stables des événements et, ne parvenaient pas s’en souvenir. Cette croyance se basait sur le fait que les adultes ne se souviennent de fait qu’à partir de l’âge de trois ans et demi. Or, on sait aujourd’hui, grâce aux progrès de l’électrophysiologie et de la neuro imagerie, que les enfants sont dotés d’une mémoire autobiographique, et qu’ils stockent des souvenirs d’événements. Que leur mémoire autobiographique fonctionne sur un modus operandi différent de l’âge l’adulte.

Concernant l’enfant de moins de trois ans, il est difficile de mesurer avec fiabilité la mémoire déclarative. Les tests sont plus adaptés à des enfants plus âgés ou à des adultes.

Le cerveau des enfants se développe rapidement de la naissance jusqu’à la deuxième année de leur vie. Mais ce développement est inégal suivant les zones du cerveau, surtout en ce qui concerne les zones du cerveau concernées par la mémoire déclarative. Ainsi, une partie des cellules de l’hippocampe (lobe temporal média) nécessaire à la mémoire déclarative serait formée dès la période prénatale, excepté les cellules du gyrus denté de l’hippocampe qui ne sembleraient parvenir à maturité avant l’âge de 12 à 15 mois. Le cortex préfrontal impliqué dans la fonction mnésique atteint son maximum entre 15 et 24 mois. Et des changements ont lieu jusqu’à l’adolescence.

Cette « amnésie infantile » est une faculté d’oubli salutaire pour la construction de la mémoire. Des chercheurs de l’université d’Emory (Atlanta, USA) se sont livrés à une étude sur la capacité d’enfant de trois ans à se souvenir; et ce pendant plusieurs années à des âges différents -5, 6, 7, 8 ans- sur des événements simples comme une fête d’anniversaire ou une visite au zoo.

Les enfants de 5 à 7, ans se souvenaient de 65 à 73 % de ce qu’ils avaient vécu  avant leur trois ans, les enfants de 8 et 9 ans  que de 35%. La mémoire des plus âgés était plus précise et plus riche alors que celle des plus jeunes est  « plus éparse, et plus aléatoire».

A 7 ans, les souvenirs de la prime enfance s’effacent pour laisser le champ libre à une mémoire autobiographique plus riche et plus complexe. Cette faculté d’oubli, cette amnésie infantile est aussi importante que la mémorisation.

Dans son livre autobiographique, « Je me souviens »… Boris Cyrulnik parle de son enfance à Bordeaux, de son arrestation, et de son évasion pour échapper aux rafles des soldats allemands. Il ne parle pas de souvenirs antérieurs avant l’âge de cinq ans. Il reconnaît que ce ne sont pas des histoires mais des odeurs, des sons, des couleurs en toile de fond du souvenir. Il parle de flashs comme d’avoir été refusé à la porte d’un orphelinat, fuyant une institution encapuchonné. Ses souvenirs «ne forment pas un ensemble cohérent», mais plutôt un patchwork d’où émergent des images très precises : des morceaux de vérités claires dans un ensemble flou incertain.»

Ce n’est que dans la relation à l’autre que nos souvenirs se construisent. Dans l’étude d’Emory ce sont les parents qui posaient les questions à leurs enfants sur ces évènements. Autrui, ici les parents, sont déterminants car ils participent à la construction des souvenirs de leurs enfants.

Ce qui a été dit, précédemment, concerne la mémoire normale, et l’on pourrait supposer qu’il en est différemment pour la mémoire d’un enfant qui a vécu un trauma. C’est ce qu’écrit Boris CyrulniK dans « Je me souviens »: « La mémoire traumatique est faite d’images hyperprécises, et qu’autour de ces flashs, on recompose une histoire…ce sont des morceaux de vérité qu’on arrange, comme dans une chimère, toutes les parties sont vraies, mais la chimère n’existe pas »

L’étude d’Emory sur des enfants qui suivent un développement normal s’applique-t-elle à des enfants qui ont vécu des événements tragiques et traumatisants? Comment leur mémoire fonctionne-t-elle? Déjà, au départ, il est difficile d’appliquer les critères du stress post-traumatique de l’adulte à un enfant, et les chercheurs en sélectionnent quelques uns en les recentrant sur une description comportementale des symptômes. Alors toutes les supputations sur ce qu’a vécu un enfant sont permises, et le professionnel doit s’entourer de précautions avant de se livrer à des interprétations subjectives. L’un des dangers principaux est de méconnaître le fonctionnement de la mémoire d’un enfant lorsqu’un adulte raconte des souvenirs de traumas avant l’âge de 7 ans, et en fait un souvenir avec une mémoire d’adulte.

La mémoire et les souvenirs sont intimement liés aux étapes de la conscience. La mémoire est dépendante de la vie mentale. Celle de l’enfant est beaucoup plus limitée que celle des adultes chargée de réminiscences, de réflexes, de rêveries et d’anticipation, de productions imaginaires. La capacité et la construction des souvenirs chez l’enfant sont liés aux étapes de conscience décrites par Piaget.

Les progrès de la neuro imagerie et de la physiologie de la mémoire ne doivent pas faire oublier que le développement de la mémoire n’est pas linéaire, et s’accompagne d’autres facultés comme le langage, la capacité de raconter, les stratégies mnésiques, le raisonnement et la capacité de résoudre des problèmes.
Alors, l’amnésie infantile, oui, elle existe comme faculté d’oubli indispensable liée aux étapes de la conscience. Et les connaissances scientifiques actuelles sur le fonctionnement de la mémoire, oui, peuvent  coexister avec la psychanalyse. Mais avec les neurosciences qui appliquent les règles de l’Evidence Based Medecine.

 

Sources:

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/les-souvenirs-de-la-petite-enfance-s-effacent-a-partir-de-7-ans_19042

http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier/surprises-memoire-infantile-01-07-2001-68953
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1548
http://psycha.ru/fr/dictionnaires/laplanche_et_pontalis/voc20.html
http://www.enfant-encyclopedie.com/documents/Bauer-PathmanFRxp.pdf

http://www.enfant-encyclopedie.com/cerveau/selon-experts/la-memoire-et-le-developpement-precoce-du-cerveau

 

 

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

Une réflexion sur « À PARTIR DE QUEL ÂGE, PEUT-ON AVOIR DES SOUVENIRS? »

Laisser un commentaire