LA RÉSIGNATION ACQUISE N’EST PAS UNE FATALITÉ!

La théorie de l’impuissance apprise constitue une référence classique de la dépression, et elle est utilisée dans les essais thérapeutiques des antidépresseurs.

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Connaissez-vous la théorie de l’impuissance apprise (learned helplessness) qui décrit la situation d’un sujet vivant une situation douloureuse, et qui n’arrive pas à s’en sortir?Lorsque cette situation se répète, il intériorise ce sentiment d’impuissance au point de se résigner alors qu’il a toutes les ressources en lui pour rebondir.

Le concept d’impuissance apprise a été proposé, en 1975, par Martin Seligman, professeur de psychologie expérimentale sous le terme de théorie de l’impuissance apprise. « Au coeur du phénomène du pessimisme s’en trouve un autre: celui de l’impuissance. » (Seligman). Cette théorie a ensuite été reformulée avec l’aide d’Abraham et de Teasdale, en 1978 sous le terme « d’attribution et impuissance apprise ». Et en 1989, Metalsky et Allay ont révisé et complété ce concept sous le terme de «Théorie du manque d’espoir ou de désespoir.»

Quel que soit le nom qui lui est donnée, au fil du temps comme impuissance, théorie du manque d’espoir ou du désespoir, ce qu’il faut retenir c’est que cet état mental négatif fait accepter sa condition comme une fatalité, paralyse toute stratégie d’action, et est immuable. Il a un impact cognitif sur le comportement présent, sape le comportement futur et détruit la confiance en soi. Seligman le décrit ainsi: « on peut définir l’impuissance acquise comme une réaction d’abandon où l’on jette l’éponge parce que l’on a la conviction que rien de ce que ‘on fait n’aura un quelconque résultat.»

La théorie de Martin Seligman s’inscrit dans le paradigme suivant de la psychologie: le conditionnement opérant (ou instrumental). Seligman a élaboré sa théorie à partir d’expériences réalisées sur les chiens soumis à des choc électriques), et il en a conclu l’idée générale que la conduite humaine (et animale)  est conditionnée par les conséquences qu’un individu anticipe à partir de son comportement suite à ses expériences. La récompense attendue serait la base de toute motivation. Il est donc possible de favoriser des comportements induits par renforcement ou à l’inverse, de provoquer des comportements d’évitement par punition.

La résignation acquise, c’est une modification comportementale induite par l’exposition à des chocs incontrôlables. Des évènements déplaisants. Cette exposition à l’incontrôlabilité provoque chez certaines personnes des baisses de performance, une incapacité à trouver la solution pour régler le problème posé. Au niveau motivationnel, c’est un ralentissement à inciter une réponse, à l’action. Cette « résignation acquise » va provoquer un déficit cognitif qui rend encore plus difficile d’apprendre que les événements dépendent de moyens mis en oeuvre pour agir et un déficit motivationnel entravant la possibilité de réponses volontaires. Elle entraîne également un déficit émotionnel sur le versant dépressif.Seligman soutient que l’impuissance apprise joue un rôle central dans la dépression. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on va vivre des évènements aversifs que la résignation effective est automatique. La résilience peut aussi s’ajuster. Seligman a observé avec ses collègues que certaines personnes ont la faculté de s’ajuster activement et positivement face à un échec ou à une déception alors que d’autres sont déprimées et se sentent impuissantes. S’adapter du mieux possible aux événements déplaisants et incontrôlables est ce qu’on appelle la résilience, également mise en lumière par Seligman. Tout dépend du style d’attribution, c’est à dire la façon dont les personnes trouvent un sens à un évènement négatif, et cela va influencer leur avenir, la dépression, etc.

Le style d’attribution se scinde (succinctement) en deux groupes: le style dépressif et le style défensif. Les personnes du style défensif peuvent  induire trop d’illusions positives sur soi face aux évènements incontrôlables, et cet excès peut être négatif. Par contre, elles ont tendance à vivre insouciantes et présentent peu de risques d’avoir des troubles de la psyché comme la dépression et l’anxiété. Elles courent aussi le risque d’être moins adaptées socialement. Malgré cela, ce sont les personnes du style dépressif qui payent le plus lourd tribu en étant plus souvent malades et en mourant plus jeunes (selon certaines études).

Il faut prendre en compte une dimension interculturelle dans les styles d’attribution. Les systèmes de croyances culturelles offrent aux personnes plusieurs interprétations de l’expérience qui influencent leur réactions face à des évènements déplaisants. Par exemple, aux États-Unis, les personnes croyant en Dieu ont tendance à avoir des styles d’attribution plus défensifs que les non croyants. Lors de la chute du mur de Berlin, les Allemands de l’ex RDA étaient plus du style dépressif que les Allemands de l’Ouest. Les différences de régime politique des deux « Allemagnes » ont fortement influencé l’émergence du style d’attribution dans l’une et l’autre.

Dans le langage courant, l’impuissance apprise se traduit par des paroles et un dialogue intérieur autodépréciatif comme « je ne vais pas y arriver », je ne suis pas fait pour cela », « je suis trop vieux pour faire du sport », je n’ai plus vingt ans, alors je ne peux plus déménager », « je suis trop stupide pour réussir cet examen ». Les situations dans la vie courante sont nombreuses, et il nous arrive de les vivre tous…

La psychologue Charisse Nixon a réussi à induire la résignation dans un groupe d’élèves en leur proposant des anagrammes dont les deux premiers étaient impossibles à résoudre. Le groupe va évidemment échouer à résoudre ces énigmes. Son vécu, au delà de la frustration induite lors des deux premières tâches, va conditionner son comportement ultérieur, et les élèves n’arriveront pas à résoudre le troisième anagramme pourtant réalisable. L’attitude des personnes est résignée même dans des situations où elles auraient pu s’en sortir.

Une recherche d’emploi peut se solder par des échecs systématiques, et à terme éteindre toute forme de combativité. D’un point de vue clinique, il est fréquent de trouver chez un demandeur d’emploi ce sentiment d’impuissance apprise. Au départ, il est motivé et à plein d’espoir, au fil du temps, il va réaliser que les efforts engagés ne portent pas leurs fruits, et la résignation acquise va s’installer. Et de fil en aiguille, sa santé mentale va se dégrader.

La théorie du désespoir peut également contribuer à affaiblir la santé physique suite à la mauvaise image qu’ont les personnes d’elles-même. Cette santé chancelante peut inclure une mauvaise alimentation, une absence d’exercice physique et de traitements médicaux car ils sont persuadés qu’ils ne peuvent rien changer, et que c’est comme ça, un point c’est tout. Le système immunitaire peut-être même affaibli.

Seligman a tenté de transférer son modèle théorique à la pratique thérapeutique auprès de populations d’enfants dépressifs et de jeunes diabétiques. La théorie de l’impuissance apprise constitue une référence classique de la dépression et est utilisée dans les essais thérapeutiques des antidépresseurs.

Mais il est possible de casser le cercle vicieux de l’impuissance acquise en suivant une psychothérapie, d’inspiration TCC (Thérapie comportementale et Cognitive); ce qui n’exclut pas une approche psychanalytique si chère à la France. Martin E.P Seligman est l’un des fondateurs de la psychologie positive qui permet aux personnes d’être performantes ou d’être optimistes. D’augmenter ses émotions positives. Seligman considère que la psychologie s’est uniquement centrée sur la maladie mentale et a négligé le fonctionnement optimal, le sens et le bonheur. D’où cette nouvelle façon de voir pour  casser le noeud gordien de « l’impuissance acquise »!

La psychologie positive est «l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal de gens et des groupes. Il y a trois niveaux d’étude: personnel, interpersonnel et social. Il ne s’agit pas de renier les connaissances acquises sur les souffrances de la psyché, et les moyens d’y remédier. Il est important de cerner avec rigueur les troubles mentaux, mais il faut aussi mettre l’accent sur l’épanouissement humain et le favoriser.

Martin H.P Seligman est l’auteur de plusieurs livres dont la « Force de l’optimisme », « La Fabrique du bonheur », Vivre la psychologie positive ,Comment être heureux au quotidien
« L’émotion positive est plus qu’une sensation agréable: c’est le signal de la croissance, de l’accumulation du capital psychologique.» (Pour un nouvel art du bonheur et du bien-être)

Sources:

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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