AU SUJET DU FILM RÉGRESSION ET DES ADORATEURS DE SATAN.

Ce thriller s’inspire de faits réels qui ont secoué l’Amérique des années 90, obsédée par la violence des cultes sataniques réels ou imaginaires.

« Régression » est le titre d’un film réalisé en 2015 par Alejandro Amenabar, et joué par Emma Watson et Ethan Hawke. Ce thriller s’inspire de faits réels qui ont secoué l’Amérique des années 90, obsédée par la violence des cultes sataniques réels ou imaginaires. Au cours de cette période, les rumeurs sur les adorateurs du Diable vont se multiplier, jusqu’à l’hystérie collective. Les médias, avides de sensationnalisme, font circuler des vidéos dites tournées par les adorateurs de Satan. Elles montrent des messes noires où des adolescentes se feraient violer et où des bébés seraient sacrifiés. Beaucoup d’Américains vont croire aux exactions des adorateurs de Satan. Réalisé en 1991, le résultat du sondage Gallup est révélateur des croyances irrationnelles de l’époque. À la question posée « Croyez-vous à l’existence du diable? », 60 % des Américains ont répondu « oui » contre 17% en France.

Le contexte dans lequel s’est développé cette hystérie collective est particulier. Outre Atlantique, les adorateurs de Satan ont pignon sur rue à l’instar de ceux de l’Église sataniste d’Anton Sanzdor LaVay. Surnommé « le pape noir », il fonde son église en 1966. Son sens aigu de la communication attirera vers lui comme un aimant des célébrités comme Sammy Davis Jr et Jane Mansfield! Ses idées sulfureuses lui font interdire l’entrée du Canada et celle d’autres pays. Dès les années 80,  les télévangélistes, pentecôtistes, fondamentalistes et les thérapeutes de cette mouvance dénoncent sur de simples rumeurs les activités criminelles des satanistes. Même si les cultes étaient glauques et déroutants, les allégations sur les sacrifices humains étaient infondées; ce qui sera confirmé par le FBI. Cette vague d’allégations mensongères sera connue sous le nom de « Satanic Panic » ( littéralement panique satanique). Une dénomination culturelle anglo-saxonne l’hystérie collective liée au satanisme.

Le film « Régression » montre l’étrange atmosphère d’une panique sataniste qui s’est emparée  d’une petite ville du Minnesota en 1990. Un gars du pays, Doug Gray se rend au poste de police pour dire qu’il a violé sa fille Angela lorsqu’elle était adolescente.

Ce qui est surprenant dans cette confession, c’est que Doug n’a gardé strictement aucun souvenir de cet abus. Amnésie totale! Pourtant, il est intimement persuadé d’avoir commis cet inceste et il veut être jugé. L’affaire est confiée au pragmatique inspecteur Bruce Kenner qui interroge Angela. Et là, le mystère s’épaissit! Elle ne se souvient pas d’avoir été abusée par son père. Diable, une victime et un père incestueux qui ne se souviennent, ni l’un ni l’autre, de ce crime sexuel? Mystère! L’ambiance familiale n’étant pas de tout repos, la jeune femme se réfugie dans la communauté évangéliste dirigée par le révérend Beaumont. Ce dernier croit à l’existence et à l’influence de Satan sur ses ouailles.

Désarçonné par l’amnésie de Doug et celle de sa fille, l’inspecteur Kenner s’adjoint les services d’un hypnotiseur de renom, le docteur Kenneth Raines. Ce spécialiste prétend faire remonter les souvenirs de trauma d’abus refoulés dans la mémoire. À l’aide de son pendule, le bon docteur hypnotise Angela qui prétend alors se souvenir d’une vieille femme et d’une messe noire.

Au cours de son enquête, Kenner sera troublé par les propos et les visions d’Angela. Il lui arrivera de croire aux témoignages des personnes qu’il interrogera sur les rites sataniques locaux. Dont ceux d’Angela et du pasteur Beaumont. Il sera tenté de croire aux rites sataniques, mais la raison l’emportera pour élucider cette affaire diabolique.

Doug est innocent, est il s’avèrera que sa fille est une manipulatrice sous l’emprise psychologique du charismatique révérend Beaumont. Pour prouver à ses fidèles l’existence du diable, le pasteur les droguait avec des substances hallucinogènes. En réalité, dans cette petite ville tranquille du Minnesota, il n’y a jamais eu de rites sataniques.

Outre son synopsis basée sur des faits réels, ce qui singularise ce thriller, c’est que la police s’adjoint les services d’un praticien spécialisé dans les « thérapies fondées sur la régression » (d’où le titre du film). Leur acronyme anglais est MRT pour Recovered Memory therapy.  Sa traduction en français est toujours approximative, et bien qu’imparfaite, on peut retenir celle de thérapie de la « mémoire récupérée ». Utilisée pour faire remémorer des souvenirs, des images et des sensations enfouies dans la mémoire, en faisant régresser le patient du stade conscient à un état plus archaïque.

Dans le film « Régression », l’hypnose est la technique de MRT employée pour le père et la fille, et elle était souvent préconisée pour aider les victimes diagnostiquées du SRA (Satanic Ritual Abuse). Ce diagnostic ébouriffant ne figure dans aucun manuel de diagnostic des troubles mentaux dont le si décrié DSM, la bible américaine des maladies mentales, faut-il préciser!

Le diagnostic surréaliste de SRA soufflé par les Évangélistes permettait de remettre dans le droit chemin ces âmes sous l’emprise du Diable. Des conférenciers, souvent d’anciens policiers, vont gagner un argent fou en organisant des séminaires sur le dépistage des rites sataniques à l’usage des travailleurs sociaux, éducateurs et soignants.

Quant à l’attitude de l’inspecteur Kenneth dans le film, rien d’étonnant non plus, si l’on se réfère aux propos d’un shérif du comté de San-Bernardino (Californie): « Nous avons sacrément besoin d’experts en crimes occultes ! » 

Pour poser un diagnostic de SRA, il faut le patient réponde à plusieurs critères dont celui d’avoir été violenté par ses parents, membres d’une secte sataniste. D’avoir été forcé à participer à des rites sataniques cannibales où l’on tuait et mangeait des bébés. Les adolescentes, enceintes des oeuvres du Diable, étaient contraintes d’avorter dans des conditions épouvantables. Dans certaines affaires de SRA, pour vérifier les allégations de viol, la justice demandait un examen gynécologique, et on s’apercevait, ô surprise, que la supposée victime des messes noires était vierge.

L’une des particularités du SRA est l’oubli total par la victime de ces viols, l’amnésie traumatique. Ce qui est bien montré dans le film d’Alejandro Amenabar. Si l’hypnose est mise en cause dans « Régression’, il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur l’hypnose médicale mais sur ses dérives sectaires. Dans les années 90, l’hypnose dévoyée était un outil d’investigation privilégié pour les autorités et la justice. C’était bien avant la police scientifique et les tests d’ADN!

L’hypnose était une « technique de la mémoire récupérée » préconisée dans les cas d’abus sexuels oubliés. Comme toutes les autres MRT, son fondement théorique reposait à l’époque sur un fonctionnement pseudo-scientifique de la mémoire. Dans cette optique, la mémoire est une banque de données qui fonctionne sur un mode linéaire comme un magnétoscope. Il suffit de revenir en arrière dans le temps pour accéder à tous les souvenirs. Ors, les neurosciences ont démontré que la mémoire ne fonctionne pas comme un magnétoscope ou le disque d’un ordinateur. Même avec les progrès de l’IA!

Les thérapies de la régression utilisent la suggestion et les états modifiés de conscience  (EMC) permettant au sujet d’accéder à ses souvenirs perdus. Sous la conduite du thérapeute qui le met en EMC, le sujet va avoir des flashs, des images ou des bribes de scènes du trauma originel qui sont interprétés comme les souvenirs du trauma.

Les « thérapies de la régression » ont induit en erreur nombre de patients entre les mains de praticiens incompétents. Ces thérapeutes étaient la plupart de bonne volonté, et ont pensé sincèrement que leurs patients avaient été réellement été violentés. Or, il est aujourd’hui prouvé que ces « thérapies de la régression » ont falsifié la mémoire en causant des faux souvenirs d’abus sexuels.

Les flashs et visions diverses étaient en fait des fantasmes, des états hypnagogiques ou des hallucinations produites par le haut niveau de suggestibilité du patient, et induits par les suggestions et croyances irrationnelles du thérapeute.

Au cours de cette vague sataniste, le SRA était un diagnostic courant. Certains thérapeutes s’étaient spécialisés dans le « Satanic ritual abuse therapy (thérapie des rites sataniques), une variante de MRT.

Dans le Minnesota, il y a eu d’autres affaires avec des spécialistes du SRA. L’ordre des médecins avait interdit à un certain Dr Fredrickson de prendre en thérapie des patients diagnostiqués de SRA. L’ordre encadrera sa pratique de l’hypnose et de l’imagerie guidée pour éviter les allégations mensongères d’abus sexuels. Ce principe de précaution imposé à un praticien, s’explique par le fait que les MRT comme l’hypnose mal pratiquée, l’imagerie guidée, le reparenting et rebirthing entre autres  ont participé à créer une déferlante de faux souvenirs, qui se sont propagés dans l’imaginaire populaire par les médias, causant une hystérie collective.

Dans le film Régression, le réalisateur a su montrer les impressions, le ressenti et les images mentales d’une régression et de ses faux souvenirs, notamment avec Doug qui, sous la houlette du thérapeute aura des images du viol de sa fille. Outre certaines dérives de psychothérapie, le film Régression montre que l’être humain est gouverné par ses fantasmes, son irrationalité, ses émotions et ses croyances. Il peut être influencé par ses affects et les croyances populaires.

Notes:

La théorie qui sous-tend les MRT est « l’amnésie dissociative » (aujourd’hui remplacée par celui d’amnésie traumatique, particulièrement en France). L’oubli total d’un trauma! Aucun souvenir! Cette amnésie dite traumatique est présentée comme un mécanisme de défense « fréquent », « banal » voire « quasi-systématique » ou bien encore à grande échelle » mis en place par la (es) victime(s) pour faire face au traumatisme d’un événement insupportable s’il était resté conscient. Seulement voilà, si la littérature scientifique évoque la rareté de « l’amnésie dissociative ». D’ailleurs, aujourd’hui, se substituerait à celui d’amnésie dissociative, le terme d’amnésie traumatique. Le seul point commun est celui d’un « stress intense »qui peut occasionner des formes spécifiques d’amnésie comme le relate un article récemment publié dans la revue Brain, mais la réalité biologique et médicale de l’amnésie, répertoriée dans la littérature scientifique, est différente de cette explication sous-tendant le mécanisme de la mémoire qui fonctionne comme un magnétoscope où il suffit d’appuyer sur le bouton « Marche » ou « Arrêt » , « Pause » et « Retour en arrière »  de la mémoire en la manipulant pour retouver les souvenirs à gogo.

Le terme dissociatif est apparu dans le DSM-IV, la classification des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie, pour remplacer celui de psychogène, trop vague. La dissociation a été définie en 1893 par le pyschologue et médecin français Pierre Janet comme un état « crépusculaire », caractérisé par un rétrécissement du champ de la conscience.

 La note ci-dessous figure également dans l’article « L’affaire Ramona,une sombre histoure de sérum de vérité ». Le médecin blogueur Marc Gozlan, dans son article, « Ces Patients frappés d’amnésie après un stress intense » publié sur son blog Réalités Biomédicales, évoque en ces termes l’amnésie dissociative:  « Il est très rare qu’une série de cas d’amnésie dissociative soit publiée dans la littérature médicale. Une étude, parue en septembre 2017 dans la revue Brain, fait état de 53 cas examinés entre 1990 et 2008 au St Thomas’s Hospital de Londres par le Pr Michael Koperman et ses collègues. Il aura donc fallu près de vingt ans pour cumuler ces cas. On comptait trois hommes pour une femme.» Et  l’article de Marc Gozlan détaille l’étude anglaise avec les expressions de ce trouble de la mémoire comme la fugue dissociative, l’amnésie rétrograde prolongée et les trous de mémoire, l’altération des mémoires sémantique personnelle, et autobiographique. L’amnésie dissociative existe et présente de multiples facettes. La lecture de l’article de Marc Gozlan permet de saisir le fonctionnement scientifique de la mémoire, et de constater que l’amnésie dissociative,  même si elle est rare, fait l’objet de publications répertoriées dans des revues spécialisées. Mais elle n’a malgré les similitudes du vocabulaire, aucun rapport avec cette amnésie traumatique « à grande échelle » et « quasi générale » qui concernerait les victimes d’un trauma.  Et cité dans l’article de Marc Gozlan, à paraître un article de Thomas-Antérion C. L’amnésie dissociative. Neuropsychologie (sous presse, 2018).
Sources:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Église_de_Satan
http://www.telerama.fr/cinema/films/regression,493207.phphttps://www.monde-diplomatique.fr/1991/02/CARLANDER/43263

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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