L’AFFAIRE CARLSON, UNE SOMBRE AFFAIRE DE DÉRIVE EN PSYCHOTHÉRAPIE

À partir des années des années 70, le trouble de la personnalité multiple va devenir une maladie mentale populaire. Il se caractérise par la présence de deux personnalités (voire plus) nommées les alters qui tour à tour prennent le contrôle de la personne appelée hôte.

©Aykkut Aydogdu, https://www.aykworks.com/

C’est un cas d’école illustrant une dérive de la psychothérapie, et bien qu’il date de 1989 et se déroule aux États-Unis, il reste (hélas) intemporel sur les conséquences dues à une mauvaise psychothérapie. La patiente qui en fut victime paya un lourd tribut, durant trois ans, concernant son état psychologique.

La victime de cette prise en charge ratée s’appelle Élisabeth Carlson. Elle a trente cinq ans, mariée et mère de deux enfants. Elle vit dans une coquette banlieue de Minneapolis, mais elle doit être hospitalisée à l’hôpital United de St Paul pour une dépression chronique familiale. La psychiatre Diane Hulmenansky, exerçant dans cet hôpital, va devenir son médecin référent et continuera à la suivre après sa sortie. Élisabeth Carlson fait confiance immédiatement à ce médecin qui lui parait compétente et un ange de douceur.

Lors de l’anamnèse, Diane H demande à Élisabeth si elle avait déjà entendu des voix dans sa tête. Compliante, Élisabeth lui demande s’il s’agit du dialogue intérieur, les pensées intimes que nous avons tous, quand on se dit mentalement « je n’aurais pas du faire ça ». Diane H lui confirme qu’il s’agit bien de ça et lui demande s’il lui est arrivé de louper la sortie de l’autoroute car elle pensait à autre chose. Sa patiente confirme qu’effectivement ça s’est déjà produit.

C’est alors que la psychiatre remet en cause le diagnostic initial de dépression, et lui annonce qu’elle souffre du Syndrome des Personnalités Multiples (MPD), très difficile à diagnostiquer chez les femmes. Diane H promet à sa patiente qu’elle va pouvoir l’aider à s’en sortir.

Quelques mots succincts sur ce fameux MPD! À partir des années des années 70, le trouble de la personnalité multiple va devenir une maladie mentale populaire. Il se caractérise par la présence de deux personnalités (voire plus) nommées les alter ego qui tour à tour prennent le contrôle de la personne appelée hôte. Les alter ego se conduisent à l’opposé de la personnalité, et émergent curieusement avec une thérapie à base d’états modifiés de conscience censées faire remonter des souvenirs. La personne ainsi diagnostiquée est complètement amnésique de ce qu’elle a pu faire ou dire de longues heures quand elle est sous l’emprise des alters. Pensez à la célèbre histoire du Dr Jeykill and Mr Hyde de l’écrivain Louis Stevenson.

La nature des alters en dit long sur la joyeuseté de ce diagnostic. Dans le livre Science and Pseudoscience, il a été rapporté comme alters Mr SPock, le personnage de fiction aux longues oreilles de la série télévisée Star Strek, des licornes (en plein mouvement du New Age), la fiancée de Satan, des gorilles, des tigres. Aujourd’hui, dans le DSM V, le Trouble de la Personnalité Multiple est remplacé par celui du Trouble Dissociatif de l’Identité (TDI) mais le concept de multiples personnalités continuent à inspirer les auteurs et scénaristes .

Après ces digressions nécessaires, revenons au cas d’Élisabeth Carlson. Quelle est la méthode du Dr Humanansky pour sortir Élisabeth de son enfer psychologique?

La psychiatre remet à sa patiente une liste de best-sellers populaires à lire pour la conforter dans son diagnostic de MPD. Un ersatz de bibliothérapie ! La liste vaut le détour. D’abord « le Courage de guérir », la bible des thérapeutes de la mémoire retrouvée. « Michelle se souvient »( sur les rituels sataniques). Les trois visages d’Eve. Quand le lapin hurle (autobiographie de Truddi Chase sur ses multiples identités.

Avec Diane H, Élisabeth va suivre des séances « d’imagerie guidée » pseudo thérapie inspirée du New Age et d’hypnose (il ne s’agit pas de l’hypnose médicale qui elle a toutes ses lettres de noblesse ), méthodes controversées à base de suggestion manipulant la mémoire censées faire remonter ses souvenirs, et débusquer ainsi les personnalités multiples qui seraient à l’origine du MPD.

Tout changement de comportement et d’humeur d’Élisabeth est interprété comme la manifestation d’un alter. Outre des doses massives de psychotropes, Élisabeth reçoit des injections d’Amythal, le fameux sérum de vérité, prescrit larga manu à cette époque. Lors d’une de ces séances, elle se serait crue dans une scène du film culte « L’Exorciste ». Un alter démoniaque se manifesta, crachant et éructant comme dans le film l’exorciste. De fil en aiguille, Élisabeth fut persuadée qu’elle avait été abusée sexuellement dans un secte sataniste, enrôlée de force par ses parents. Tout comme le MPD, à l’époque le diagnostic de Rituel satanique d’abus sexuels (SRA) complétait souvent celui de MPD.

En plus de ce traitement de choc, Élisabeth suivait également une thérapie de groupe des personnes souffrant comme elle de MPD.

Deux ans passèrent, et l’état d’Elisabeth empira et elle dut être hospitalisée cinq fois. Entre deux internements, elle vivait recluse dans sa chambre, incapable de s’occuper d’elle et c’est sa fille qui la prenait en charge.

C’est alors que son groupe de thérapie des MPD décida de quitter le Dr Humenansky pour prendre son indépendance. En discutant entre eux, les membres s’aperçurent qu’ils partageaient les mêmes souvenirs tirés des mêmes livres et des mêmes films. Forte de cela, Élisabeth reprit du poil de la bête, réussit à se sevrer des médicaments et put enfin s’occuper de sa maison et de sa famille. À leur grande joie!

En 1992, Élisabeth devant sa télévision tombe sur un talk show consacré au syndrome des faux souvenirs! Elle appela la numéro de téléphone inscrit sur la bande annonce. Elle fut alors mise en contact avec d’autres victimes de faux souvenirs.

Elle engagea l’avocat Christopher Barden qui gagna son procès contre Diane Humanansky. Barden qui était également titulaire d’un doctorat de psychologie réussit à convaincre la cour de l’impact de la suggestion et la manipulation de la mémoire qui avaient induit des faux souvenirs. Grâce à lui, Élisabeth Carlson, gagna son procès avec une coquette somme de dommages et intérêts, et elle a fondé depuis une association contre la fraude en thérapie et les dérives pseudo-scientifiques.

Quant à Diane Humanansky, elle fut suspendue par l’ordre des médecins (l’équivalent américain). Une vingtaine de patientes ont porté plainte contre elle. Dix ont allégué qu’ils avaient été induits en erreur par son diagnostic d’un trouble de la personnalité multiple et de faux souvenirs d’abus sexuels.

L’engouement pour le diagnostic de MPD et ces thérapies de la mémoire retrouvée ont culminé de 1993 à 1994. 40 000 cas de MPD ont été diagnostiqués par des professionnels de la santé. Le MPD se comprenait à l’époque comme une sous catégorie d’hystérie concernant les femmes.

J’ai trouvé une analyse intéressante dans un article datant de 1998 publié dans le New Yorker dont voici les grandes lignes
Le MPD avec son cortège de thérapies de la mémoire retrouvée prend sa source dans les années 70 avec le mouvement de protection de l’enfance et fut rejoint par la suite par les féministes. Ceux qui remettaient en cause les allégations du MPD étaient accusés de protéger les crimes sexuels. En fait, le MPD répond en tout point à une épidémie psychologique comme d’autres à cette époque.

La critique littéraire Elaine Showalter attribue la propagation de ces nouvelles épidémies psychologiques à  la troisième vague des féministes, celle que l’on appelle le féminisme victimaire. Le néo-féminisme.

La fin à ce dévoiement fut le SRA (rituel d’abus satanique), épidémie lancée en 1980 par le livre « Michelle se souvient », où Michelle Smith décrit les abus sexuels dont elle fut victime, après s’en être souvenue en thérapie avec son thérapeute et mari (semble-t-il) Lawrence Pazder. En 1983, devant l’explosion de cas de SRA, le FBI enquêta sur plus de 300 allégations, et on s’en doute ont fait chou blanc. Au fil du temps, les victimes poursuivirent les thérapeutes pour mauvaises pratiques, et la jurisprudence américaine est prolixe sur ce sujet.

L’histoire d’Élisabeth Carlson révèle la difficulté d’une prise en charge en psychothérapie, de poser un diagnostic et dans certains cas, le remède peut s’avérer néfaste pour les patients quand la pseudo-science s’en mêle. La, il s’agissait de la méconnaissance de malléabilité de la mémoire et de la suggestibilité des personnes méconnues par ces thérapeutes.

https://www.newyorker.com/magazine/1998/04/06/the-politics-of-hysteria

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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