AU SUJET DU LIVRE « LA NUIT, J’ÉCRIRAI DES SOLEILS »

«En écrivant, j’ai racommodé mon moi déchiré; dans la nuit, j’ai écrit des soleils.»

La publication d’un livre de Boris Cyrulnik est toujours pour moi l’occasion d’un agréable moment de lecture. Faut-il encore présenter ce neuropsychiatre, aux propos consensuels et qui respirent l’humanisme? Boris Cyrulnik a l’art de réconcilier tous les courants de la médecine, de la psychiatrie, de la psychanalyse et des neurosciences! Je viens de terminer la lecture son dernier ouvrage « La nuit, j’écrirais des soleils », et je m’empresse de vous livrer quelques notes qui vous donneront peut-être envie de le lire! C’est parfois décousu tant est immense la richesse intellectuelle de ce livre qui rebondit de page en page au fur et à mesure de son avancée.

Comme tous ses livres, La nuit, j’écrirais des soleils, s’adresse aussi bien aux professionnels de la santé mentale qu’au grand public! J’ose écrire que c’est aussi un ouvrage de philosophie générale où l’écriture fluide reflète la maturité et l’expérience de la psyché non seulement celle du professionnel mais aussi celle du « Soi » ( imparfaitement résumé au « Moi Intime »), concept jungien! Les professionnels de la santé peuvent approfondir les aspects les plus pointus sur le plan scientifique et des neurosciences de son ouvrage en se référant aux notes de bas de page ou à des des sites spécialisés au fur et à mesure de la lecture du livre si l’envie leur en prend. Boris Cyrulnik donne de nombreuses conférences et participent à différents séminaires et propose des formations continues sur la petite enfance dans le cadre de l’IPE (Institut de la petite enfance). Il a été choisi par l’Élysée avec une vingtaine d’experts pour diriger un comité sur la petite enfance correspondant à un concept médical développé par l’OMS en 2011, celui le « parcours 1000 jours ». Ce concept désigne la période entre le quatrième mois de la grossesse et les deux ans de l’enfant. Cette décision gouvernementale a été considérée par beaucoup de personnes comme une ingérence dans la vie privée des parents dans l’éducation des enfants. À tort ou à raison, mais le choix de Boris Cyrlnik est un gage d’éthique!

Le thème de son dernier ouvrage est celui de l’orphelinage et de la créativité littéraire qui participe à la résilience, mais peut-être pas pour tous les écrivains quand leur enfance fut chaotique. Et à travers l’exemple de nombreux auteurs majeurs et lui-même, Boris Cyrulnik parle de leur petite enfance qui a façonné ces auteurs et il n’hésite pas à parler de lui pour explique son irrépressible besoin d’écrire. Je suggère aux lecteur de consulter son impressionnante bibliographie.

Boris Cyrulnik accorde une grande importance aux mots, certainement comme nous tous, mais il insiste sur la dimension de leur halo affectif qui noue le lien verbal. « Quand un mot parlé est une interaction réelle, un mot écrit modifie l’imaginaire. »

Tout dessin d’un enfant reflète sa créativité pour activer l’attachement à sa mère. La création d’un mot permet d’échapper à l’horreur du réel. Le corps de la mère est une première niche sensorielle qui tutorise les développements de l’enfant. Les développements biologiques et affectifs des tout-petits sont soumis à l’organisation sociale qui va disposer autour de lui des tuteurs comportementaux. Cette niche sensorielle peut-être altérée par des facteurs dont les violences conjugales, la maladie de la mère. Quand cette niche sensorielle est altérée, l’enfant prend un mauvais départ.

Si l’enfant est placé en privation sensorielle pendant les trois premiers mois de sa vie, s’il n’y a aucune stimulation sensorielle, cette carence va induire le vide au fond de lui, comme on le constate chez les nouveaux-nés isolés. Le psychiatre et psychologue René Spitz avait ainsi fait le diagnostic d’hospitalisme en observant les enfants dans un orphelinat. Boris Cyrulnik parle de l’écrivain Jean Genêt, orphelin et élevé dans une famille d’accueil qui lui prodiguera de l’amour mais en vain! Jean ne voyait en elle que le facteur rémunérateur de cette famille d’accueil qui était payée pour s’occuper de lui. À cette époque, les orphelins étaient considérés comme des délinquants en herbe par le fait qu’ils n’avaient pas de famille. Ces enfants étaient soit craintifs ou alors violents. Si en plus, ils versaient dans la délinquance, les préjugés sur leur avenir se renforçaient. Outre René Spitz, Boris Cyrulnik se réfère à la théorie de l’attachement de John Bowlby. Ce qu’il faut retenir de cette théorie de l’attachement de J. Bowlby « est certainement que le lien n’implique pas un état de dépendance, mais au contraire qu’il peut constituer un facteur d’ouverture, de socialisation [1]

L’isolement précoce de l’enfant, la privation de la niche sensorielle altère d’abord le fonctionnement des neurones préfrontaux qui ne sont pas stimulés et s’atrophient en quelque sorte. Le socle neurologique des émotions insupportables via l’amygdale rhinencéphalique n’est plus opérationnel. Ainsi, l’enfant va acquérir une vulnérabilité émotionnelle. Ce qui protège le petit enfant (en référant à J.Bolwby), « c’est un système familial à multiples attachements ».

Ce que note Boris Cyrulnik, c’est l’engouement du public pour les voyous littéraires. Qui se souvient que Rimbaud était un trafiquant d’armes? « Curieux destin que celui des poètes voués à la misère et aux grandes souffrances?» Si Sade a pu écrire sur certains sujets sulfureux, il faut se pencher sur son enfance. Son père avait chassé sa mère pour vivre avec des prostituées, et il fut confié à son oncle, un prêtre à la sexualité libertine. Dans cet exemple, « peut-on parler de relations sexuelles quand il s’agit plutôt d’interactions de génitoires?» Là, on peut affirmer que la femme devient un objet, et sans levée de bouclier néoféministe ou victimaire.

Le développement de l’empathie, cette aptitude à se décentrer de soi pour se représenter le monde des autres dépend des pressions du milieu. L’empreinte du passé, titre de l’un des chapitres, donne un goût et il s’imprègne au cours du développement de l’organisme en empreinte mnésique qui va agir comme un sentiment de familiarité qui le sécurise. À partir de là, une fois le sentiment de sécurité installé, il est possible d’établir de nouvelles relations avec des inconnus. Si la niche sensorielle de l’enfant est altérée, l’organisme n’acquiert pas d’empreinte sécurisante, il s’imprimera dans la mémoire une trace insécurisante. Comme chez les enfants maltraités qui évitent tout contact car ils évitent le stress de la rencontre; leur style relationnel est non socialisant.

L’imagerie cérébrale est capable de voir un cerveau qui a été traumatisé. Les couleurs de l’agonie psychique sont bleues, vertes ou grises. Mais ce n’est pas irréversible, il faut le savoir, et lorsque la vie psychique revient, l’IRM montre que les couleurs deviennent incandescentes, rouges, oranges et jaunes. Magnifique, quand la vie psychique revient, non?

Plus que la force physique, la force mentale organise la résistance à l’épreuve et permet la reprise d’un développement résiliant. Chaque catastrophe sociale et culturelle est une occasion d’évolution. Les épidémies psychiques sont faciles à déclencher. Après un deuil, pour ne pas souffrir de l’angoisse du néant et de l’immobilité du temps, c’est-à-dire de mélancolie, nous sommes contraints à la créativité. Quand l’un des parents meurt, lors des premiers mois de la vie de son enfant, le petit ne peut pas comprendre que son parent est mort, et c’est toute sa niche sensorielle qui s’en trouve altérée. Les endorphines opioïdes euphorisants sécrétés par l’intestin et le cerveau ne sont plus stimulés par les rencontres. Le monde devient hostile à l’enfant, et il invente des réactions pour décrire le Monde ou plutôt une impression, interprétée par son dysfonctionnement neurone émotionnel. Après 6-8 ans, l’enfant souffre intensément de la perte, mais il peut faire son deuil, c’est différent de la privation de la niche sensorielle durant les premiers mois de la vie.

Il y tout un passage sur Alice Miller, ultra connue pour ses travaux sur la maltraitance. Personnellement, je n’ai jamais été enthousiaste envers ses théories que je trouve manichéennes. Son ton m’a toujours dérangée tout en reconnaissant que la maltraitance de l’enfant est insupportable. Et je saisis l’occasion de citer Boris Cyrulnik à son sujet. Alice Miller avait été négligée affectivement dans sa famille. Quand son fils Martin naît, bien que suivant une formation psychanalytique, elle est absolument incapable de voir que son petit garçon est en plein appauvrissement affectif. Martin va d’aillers toujours garder en mémoire la trace de cet isolement affectif.

Alice Miller s’était rendue un congrès sur la résilience organisé par Boris Cyrulnik, et elle n’avait de cesse de dénoncer ce concept! Elle pensait que si les traumatisé s’en sortaient, cela risquait de relativiser le crime de l’agresseur. Tout son travail s’est inspiré de sa propre enfance et des patients qui venaient la consulter pour des histoires de maltraitance. Elle a exacerbé sa mémoire traumatique et a toujours été prisonnière de son passé. C’est allé si loin qu’elle croyait que toutes les causes des souffrances individuelles et sociales étaient dues à la maltraitance des enfants. Il a fallu attendre les années 70 pour que la maltraitance éducative cesse d’être une fonction paternelle.

Un enfant ne débarque pas dans le monde des mots, il est d’abord soumis aux stimulations du contexte. Boris Cyrulnik écrit quelque chose de très intéressant sur la fiction et le slogan que je vous livre: …« l’antonyme de fiction serai le slogan, c’est à dire quand une formule pétrifie la pensée sous forme de certitude. La récitation de slogans nous unit pour mieux nous soumettre. Alors que la fiction, en nous décentrant de nous-mêmes, nous invite à visiter d’autres mondes mentaux. Le travail de la fiction est une sorte de manipulation expérimentale du réel.»

Derrière de nombreuses digressions littéraires avec l’enfance des auteurs majeurs, de Jean-Paul Sartre, Jean Genêt et d’autres, Boris Cyrulnik, revient souvent aux fondamentaux des neurosciences et de la génétique. Page 168, il dénonce cette fâcheuse habitude de dire que l’on ne peut pas faire autrement car c’est dans son ADN. C’est totalement faux. Il n’y a pas de soumission un destin biologique puisque les travaux en épigénétique démontrent que les modifications de l’information héréditaire sont réversibles quand on modifie le milieu. Il s’appuie sur l’exemple du gène de la criminalité qui a fait croire à des millions de gens que la délinquance était génétiquement déterminée, donc inexorable. Il est fréquent de lire ou d’entendre qu’un gène définit un comportement, qu’un programme génétique se déroule inexorablement sans tenir compte du milieu. C’est un raisonnement linéaire!

Au chapitre 24, intitulé « Implicite idéologique des mots scientifiques », il y a une excellente envolée sur Trophim Lyssenko, proche de Staline. Les communistes pensaient que leur bonne organisation sociale suffisait à supprimer les troubles psychiques et s’opposaient ainsi à ceux qui acceptaient l’idée d’une soumission à destin biologique. Il peut y avoir un implicite idéologique dans des mots scientifiques. Le langage totalitaire est fait de complicité entre l’écriture de quelques affirmations martelées une lecture de slogans récités avec conviction. La violence est une valeur adaptative à une société désorganisée. Toute découverte scientifique modifie l’imaginaire collectif.

Boris Cyrulnik évoque brièvement le concept de parité, et se demande s’il ne serait pas obtenu à travers le droit à la violence quand on regarde les héroïnes de films aux profils de guerrière! Quand le pouvoir social devient totalitaire, tous les esprits doivent être conformes.

Tout processus scientifique entraîne une hypothèse imaginaire. La science participe la culture sous forme de récit et crée des croyances collectives. La pensée de la fiction romanesque ne s’oppose pas à la pensée scientifique. La puissance du mot écrit est telle qu’elle explique pourquoi on croit plus facilement à ce qui est écrit qu’à ce qui est dit. La mémoire fait surgir non la réalité elle-même, qui est définitivement passée; les mots qui l’exprime ne sont que la représentation de la réalité.

« Notre société serait-elle en train de se cliver, entre ceux qui découvrent le monde en lisant et ceux, qui ne lisant pas, se rendent prisonniers de l’immédiat? Lire ou ne pas lire témoigne de deux styles existentiels différents: la littérature ouvre sur l’exploration, le rêve, les utopies heureuses et parfois dangereuses. Alors que les non lecteurs se contentent du bien-être immédiat dans la jouissance brève empêche de donner sens à la vie. ».

Au sujet du trauma, penser le trauma est radicalement différent de penser au trauma. Un souvenir conscient résulte de la convergence de diverses sources de mémoire. Par l’écriture, il y a un effet créatifs. Ce n’est pas l’acte d’écrire qui a un effet créatif, c’est l’élaboration permise à l’occasion de l’écriture. Pour déclencher un processus de résilience, l’écriture ne dois pas être un rapport de police, mais doit faire appel à la créativité et à l’imagination.

Boris Cyrulnik revient fréquemment dans son livre sur les grands écrivains qui étaient orphelins. Encore l’occasion de parler de la niche sensorielle appauvrie lors de la perte d’un parent qui stimule mal le développement de l’enfant. S’il n’y a pas de substitut affectif, la fragilité des tuteurs de développement induit une croissance altérée.

Voilà quelques points forts du livre, et en guise de conclusion la dernière phrase de livre sur la résilience que je trouve magnifique: « En écrivant, j’ai racommodé mon moi déchiré; dans la nuit, j’ai écrit des soleils. »

Vidéo « Mémoires et traumatismes  »

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

Une réflexion sur « AU SUJET DU LIVRE « LA NUIT, J’ÉCRIRAI DES SOLEILS » »

Laisser un commentaire