FREUD, LA NÉVROSE DE GUERRE ET LE TRAITEMENT BARBARE DE LA FARADISATION

La palme de la barbarie revient à la méthode de torpillage préconisée par le Dr Clovis Vincent.

La guerre de 14/18 bouleversa la psychiatrie. Devant l’afflux de blessés psychiatriques, le service de santé des armées dut se réorganiser. La durée et l’ampleur de la Grande Guerre engendrèrent des troubles de la psyché inconnus jusqu’à alors du corps médical. Les médecin ignoraient comment les prendre en charge.Ces troubles étaient les manifestations du Stress-Post-Traumatique, répertorié aujourd’hui dans le DSM et le CIM.  Les médecins de l’époque de la Grande Guerre parlaient de l’hypnose des batailles, de la fatigue de guerre et de cafard.

Le principal trouble psychiatrique auquel devait faire les médecins était celui de l’Obusite. Comment se manifestait-il?  On trouve des témoignages sur les Poilus souffrant d’obusite rapportés dans La Gazette de Souain:  « Des soldats étaient trouvés accroupis ou pliés en deux, ne se relevaient pas, les yeux écarquillés. certains sont devenus muets, sourds et même aveugles sans blessure apparente organique.»

Lorsque les soldats présentaient des symptômes de paralysie, des tremblements, une surdité, des convulsions ou de mutisme, c’était pour la médecine la manifestation d’un désir de fuite. Et c’était aussi une forme d’hystérie, différente de l’hystérie féminine et propre à la guerre. On était vraiment loin du concept de Stress post-traumatique moderne.

Les psychonévroses de guerre bouleversèrent le milieu des aliénistes. Pour les uns, c’était un syndrome post-commotionnel, pour les autres « émotion-choc » ou rôle de la prédisposition des constitutions. Le neuropsychiatre toulousain Voivenel parla des troubles de l’émotivité  (on dirait aujourd’hui états anxieux) qui sera finalisée dans son concept de « peur morbide acquise ». La peur morbide acquise par hémorragie de sensibilité. Cet état intervient soit immédiatement après une bataille, soit plus progressivement au fil des mois. Les observations du Dr Voivenel préfigurent déjà certaines caractéristiques de stress post-traumatique figurant dans le DSM et le CIM 10 (bientôt le CIM 11 en janvier 2022).

Comme les médecins pensaient que ces psychonévrose étaient une forme d’hystérie, ils ne prenaient pas de gant pour les traiter. Le malheureux poilu souffrant d’un État de Stress post-traumatique pouvait être soigné par la flagellation pour briser sa personnalité. On frappait le soldat de plus en plus fort avec des paroles aimables et en lui faisant ingurgiter de l’eau de vie! De la gnôle, quoi!

Le traitement de choc le plus coton pour traiter la névrose de guerre était celui de la faradisation ou de la galvanisation à grande échelle. Les médecins de l’époque partaient de l’idée que les soldats étaient des simulateurs, et qu’il fallait trouver une solution pour les mettre en face de leur propre couardise avant de les renvoyer au front. Les soldats ne pouvaient pas refuser le traitement, et la coercition physique était employée. On n’hésitait pas à enfermer les patients dans des carcans redresseurs.

Toutefois, il faut préciser que la galvanisation est la version noire de l’électrothérapie. Son mésusage. Le traitement électrique dévoyé des multiples symptômes psychiques du combat ne sont qu’un des aspects de l’électrothérapie développée durant la première guerre mondiale. Ces usages concernaient le corps entier. Ainsi, en 1917, le Guide du médecin praticien en électricité médicale rédigé par le Docteur Castets en parle dans le traitement de l’obésité, de la goutte, des cardiopathies et la liste des indications n’est pas exhaustive. Il y a eu aussi son utilisation en physiothérapie et comme technique de localisation des projectiles chez les blessés.

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Alors comment se pratiquait une séance de faradisation? Un courant galvanique de 35 milliampères sous 75 volts, et en secousses brèves (de 10 à 20 secondes) est administré à l’aide de conducteurs sur les zones sensibles du soldat.

Cette méthode psycho électrique comme celle de Roussy et de Lhermitte comportait plusieurs phases. D’abord la préparation suggestive du patient, et puis le « choc psychique » provoqué par l’application douloureuse du courant  faradique; le tout dans une atmosphère de discipline militaire. La toute puissance du médecin-le pouvoir de la blouse blanche et du savoir-, la suggestion et le choc électrique constituaient les trois fondamentaux de ce traitement barbare. Car c’était de la torture. Des infirmiers ont confirmé qu’un certain Dr Kolowsky faradisait les parties génitales ainsi que les bouts des seins. Les séances se faisaient en présence d’autres patients afin que leurs hurlements de douleur effrayent les autres victimes. Cela renforçait l’efficacité de la cure, soi-disant…Rassurez vous, chers lecteurs, la psychiatrie a évolué et est devenue humaniste en aidant bien des patients atteints de troubles mentaux.

Il y avait des différences subtiles entre les méthodes électriques des psychonévroses de guerre. La palme de la barbarie revient à la méthode de torpillage mise au point par le Dr Clovis Vincent, et . Elle repose sur le principe de la galvanisation, un courant plus intense que le faradique envoyé avec des tampons sur les zones sensibles de la surface cutanée. La fin de la guerre sonna le glas du traitement électrique des psychonévroses.

Tous les médecins n’étaient pas d’accord sur la faradisation ou la galvanisation. Dont Sigmund Freud. L’œuvre de Freud n’est plus à présenter. Le fondateur de la psychanalyse s’est trouvé confronté lors du conflit de 14/18 à ses confrères qui pratiquaient la psychiatrie classique pour traiter la névrose de guerre. Il va être amené à faire des expertises sur la névrose de guerre suivant l’approche psychanalytique. Il va proposer une autre approche de la névrose de guerre. C’est même une attitude politique qui bouscule les mentalités de la médecine militaire. La nature psychique de ces névrosés de guerre est la même comme pour toute névrose. Les névroses de guerre et de paix sont des troubles de la vie  affective où l’inconscient est omniprésent.

Dans Introduction à La Psychanalyse des névroses de guerre, Freud développera les mêmes arguments que dans ses expertises : « Les névroses de guerres […] sont à concevoir comme des névroses traumatiques qui ont été rendues possibles ou ont été favorisées par un conflit du moi. […] [Celui-ci] se joue entre l’ancien moi pacifique et le nouveau moi guerrier du soldat, et devient aigu dès que le moi de paix découvre à quel point il court le risque que la vie lui soit retirée à cause des entreprises aventureuses de son double parasite nouvellement formé. On peut tout aussi bien dire que l’ancien moi se protège par la fuite dans la névrose traumatique du danger menaçant sa vie, ou qu’il se défend du nouveau moi reconnu comme mettant sa vie en péril »

Le mécanisme de la névrose de guerre analysé par Freud était radicalement différent de ce que proposait la médecine de l’époque, et a amené une bouffée d’humanité avec sa méthode. Il préfigurait déjà le mécanisme du stress post-traumatique du à un conflit où la victime revit le trauma en boucle.« Dans les névroses de guerre, ce qui fait peur, c’est bel et bien un ennemi intérieur».

Sources:
http://www.bibliomonde.com/livre/guerre-censuree-une-histoire-des-combattants-europeens-18–6493.htmlhttp://agora.qc.ca/thematiques/mort/documents/nevroses_de_guerre_freudhttps://sites.google.com/site/olivierdouvilleofficiel/articles/de-quelques-psychanalystes-sous-la-premiere-guerre-mondialehttps://sites.google.com/site/olivierdouvilleofficiel/articles/de-quelques-psychanalystes-sous-la-premiere-guerre-mondialehttp://blogs.aphp.fr/wp-content/blogs.dir/113/files/2014/08/4_troubles-psy_Poirier.pdf

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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