AUTOUR DU FILM HOLY SMOKE: UNE HISTOIRE D’EMPRISE MENTALE

La déprogrammation fait usage de la force en enlevant et en séquestrant l’adepte pour le forcer à abjurer ses nouvelles croyances jugées erronées ou dangereuses.

Sorti en 1999, le film Holy Smoke de la réalisatrice Jane Campion est un film troublant pour ceux qui s’intéressent aux sectes. Il évoque la difficulté de déconditionner une personne sous l’emprise d’une religion marginale (ou secte) ou de croyances religieuses. Évaluer le degré d’emprise ou l’adhésion nocive à des croyances spirituelles (ou autres), avec perte du libre arbitre, notion très subjective admettons-le, est difficile à évaluer. Ajoutons y la notion d’emprise mentales, et le tpur est joué. Comment définir les critères d’un groupe totalitaire comme une secte?

Holy Smoke met en présence deux protagonistes: Ruth (incarnée par Kate Winslet),  une Américaine convertie à un syncrétisme religieux new age et hindouiste, et un déprogrammeur, P.J Waters (joué par Harvey Keitel). Au cours d’un voyage en Inde, Ruth, tombe sous l’emprise d’un gourou prénommé Baba. Inquiète par son changement d’attitude et ses nouvelles croyances opposées à l’éducation religieuse qui lui avait été inculquée, sa famille demande à un déprogrammeur P.J Waters, de faire revenir la jeune femme à la raison, de la déconditionner.   On assiste dans ce film à des scènes de deprogramming où P.J Waters séquestre Ruth, emploie des méthodes coercitives ( physiques et morales ) pour l’inciter à quitter la secte de Baba et soigner sa psyché endoctrinée. Tombant amoureux de la jeune femme, il échoue dans sa mission,  et ses certitudes seront bouleversées. Ruth restera en Inde chez Baba.  

Le film est étrange et déstabilisant en dehors de l’histoire d’amour entre un homme et une femme, et des scènes torrides qui y sont liées. On peut se demander si Ruth est vraiment aliénée à ce groupe religieux marginal, si elle joue de ses charmes pour éviter la coercition mentale et physique employée par Waters pour faire retomber la pression. Holy Smoke est d’abord une fiction mais Jane Campion s’est inspirée de faits réels fort courants dans les années 1990.   L’identité du gourou Baba est à peine déguisée. Il a réellement existé et est mort en 2011. C’était un gourou de Puttaparthi (nord de l’Inde), faiseur de miracles. Il comptait cent millions d’adeptes dont beaucoup d’Occidentaux en quête de recherche spirituelle. Les enseignements de Baba étaient un syncrétisme d’Hindouisme et de Christianisme. Du New Age pur jus. Baba s’était autoproclamé à 14 ans la réincarnation de Saï Baba de Shirdi, un saint de l’Hindouisme mort en 1918. Notre bon Baba de Puttaparthi avait soi-disant la capacité de matérialiser des objets symboliques, de l’or, des bijoux et de la cendre sacrée devant ses adeptes. Ses devises étaient des plus louables: « aimer tout le monde, servir tour le monde, aider toujours, ne jamais blesser.». C’est ça la force de l’appel des sirènes des religions marginales: le développement de la spiritualité supposée irréalisable dans les religions traditionnelles. La séduction à partir de bons sentiments et la promesse d’une vie dans l’Au-Delà paradisiaque, ou bien encore celle d’une meilleure réincarnation.

En 1999, coup de théâtre! L’Unesco annonce qu’elle retire tout partenariat avec l’association de Satya Saï Baba, en raison d’actes de pédophilie perpétrés par le gourou. Ces actes n’ont jamais été prouvés par voie de justice mais on trouve sur le net de nombreux témoignages d’Occidentaux, relayés notamment par le GEMPPI.

Baba a été accusé de charlatanisme. Il réalisait des tours de magie en les faisant passer pour des miracles. Réalisant la supercherie, certains adeptes se sont détournés de lui. De reconnaitre que pour les gens de son village, il s’est montré un bon samaritain. Il a créé un véritable trust, et la fortune de « Babaji » (saint homme) a été estimée à 170 millions de dollars.

Cette fortune provenait essentiellement des dons des adeptes occidentaux en quête de spiritualité. Avec cette fortune, il a fait construire une ville moderne et un hôpital où il est mort. Ses centres d’enseignement pour Occidentaux étaient décrits comme des villages comparables à ceux du Club Med. Distributions gratuites et à foison de glaces, et buffet luxuriant à l’Occidentale.

La face obscure de Baba à l’instar des deux visages de Janus montre qu’il était un gourou, terminologie culturelle en Inde, mais en Occident, elle renvoie à une personnalité totalitaire (et charismatique) comme on peut l’observer dans les groupes sectaires. Il a été rapporté que certains de ses adeptes avaient subi un conditionnement mental à partir d’E.M.C (état modifié de conscience). C’est une pratique de manipulation bien connue, et dans les grands rassemblements, les individus sont particulièrement suggestibles. Les états d’auto-hypnose durables peuvent favoriser des hallucinations individuelles et collectives.

L’autre versant du film est celui d’une spécialité qui est celle du « déprogrammeur de sectes ». Cette pratique controversée est apparue aux États-Unis à la fin des années 70, en plein boum du New Age, foisonnant de nouveaux mouvements religieux (NMR). La déprogrammation fait usage de la force en enlevant et en séquestrant l’adepte pour le forcer à abjurer ses nouvelles croyances jugées erronées ou dangereuses. La coercition physique, ni plus ni moins.

Comment a-t-on pu concevoir une telle une méthode, ayant pignon sur rue, à base de coercition mentale et physique pour sortir les gens des groupes sectaires?

Les parents qui se tournaient vers les déprogrammeurs ont été séduits par ces méthodes d’exfiltration et de déconditionnement suivies de re-conditionnement. Comme si le cerveau d’une personne était programmable à l’instar d’un ordinateur. La technique était présentée sous le masque d’une méthode scientifique agréée officiellement.

Le deprogramming s’est développé sans contrôle jusqu’en 1980. Pour Anton Shupe et Susan E.Darnel, la théorie du deprogramming est pseudo-scientifique. À leur début, ces spécialistes des sectes, intervenaient en évoquant leurs actions comme de la déprogrammation. L’idée reposait sur le postulat de l’endoctrinement, du lavage de cerveau subis par les adeptes. Cela supposait que « les jeunes convertis étaient incapables de gérer leur propre vie et de prendre des décisions » (Shupe et Bromley 1980). Les premiers exfiltreurs de sectes pensaient que l’opinion publique plébiscitait leurs méthodes. Ils cherchaient à restaurer la personnalité antérieure de l’adepte, et leurs méthodes reposaient sur la coercition mentale et physique. Elles étaient justifiées comme «un mal nécessaire ou une réponse appropriée à une crise sociale et mentale» (Delgado, 1977, 1984). Finalement, pour les chercheurs en sciences sociales, la déprogrammation fût perçue comme de la répression spirituelle.

La plupart des chercheurs en sciences sociales se sont opposés au développement du rôle interprétatif et pseudo-scientifique de la déprogrammation en santé mentale. Depuis 1990, il n’y a quasiment plus d’enlèvements par les déprogrammeurs. Ils ont été remplacés par des consultations et des programmes de départ volontaire des adeptes de ces sectes: l’exit counseling, plus efficace et moins controversé que la déprogrammation.

Les réussites des Exit Counseling (conseillers de sortie) reposent sur les processus de changement d’attitude connu en psychologie sociale, la théorie de l’engagement et la modification comportementale. Mais « ces conseillers en sortie » continuent de décrire leurs succès en termes de contrôle mental et de personnalité réorganisée. Si leurs méthodes sont critiquées par les sociologues de la religion, elles auraient plus la faveur des professionnels de la santé mentale. Sans qu’on en sache plus. Probablement par des béhavioristes et comportementalistes.

Un grand nombre des techniques pour faire sortir quelqu’un d’une secte proviennent d’un certain Joe Szimhart. Il a été impliqué dans 300 cas dont 10% d’exfiltrations forcées. En 1991, il a arrêté ces deprogrammings forcés en raison d’accusations criminelles portées contre lui lors de l’échec d’une déprogrammation dans l’Idaho.  Une profession lucrative lorsqu’on sait que les honoraires de Szimhart en 1991 se situaient entre 300 et 400 dollars par jour. Un quart seulement de ses consultations par téléphone étaient gratuites.

 Le sociologue Kent a interrogé des centaines d’adeptes, d’ex adeptes, des membres de leur famille qui  avaient été concernés par la déprogrammation. À cette époque, les déprogrammations forcées étaient fréquentes. Les parents qui faisaient appel aux déprogrammeurs croyaient sincèrement que leurs enfants étaient victimes d’un lavage de cerveau du à certaines techniques totalitaires attribuées aux religions marginales.

Il faut remettre la notion de lavage de cerveau dans le contexte des années 70. Cette notion a marqué l’esprit de l’opinion publique par des faits divers médiatisés comme l’affaire Charles Manson et l’assassinat de Sharon Tate, la compagne de Polansky et celle de Patricia Hearst, fille d’un magnat de la presse, kidnappée qui va tomber amoureuse de son ravisseur. Et en 1978, il y a eu l’assassinat suicide de Jim Jones et de ses disciples à Jonestown (Guyana, colonie britannique). Jim Jones était le pasteur d’un groupe religieux d’inspiration protestante qui avait fondé le « Temple du  peuple », une colonie agraire. Il mena des centaines d’adeptes dont 300 enfants dans un suicide collectif au cyanure. La thèse de l’assassinat est mêlée à celle du suicide collectif dans cette tragédie.

Toutes ces affaires médiatisées ont contribué à ancrer dans l’esprit du public la notion de groupe religieux dangereux et liberticide, et permis aux déprogrammeurs de première génération de proposer leurs services pour aider les parents, victimes indirectes de ces religions marginales. Le remède fût parfois pire que le mal. De nombreuses personnes furent brisées par les techniques de déprogrammation. Une approche pseudo-scientifique à la violence égale aux techniques d’endoctrinement des groupes totalitaires. Les personnes étaient privées de sommeil et surveillées en permanence par les déprogrammeurs. Le harcèlement était incessant à la manière des interrogatoires policiers. Les victimes étaient poussées à bout dans leurs retranchements psychologiques, et à un certain moment craquaient en faisant repentance.

L’un des indices de succès du déprogramming, interprété comme un signe de la libération de la personne (comme s’il s’agissait d’un exorcisme) était le « soulagement émotionnel » de la victime. Elle a enfin retrouvé la raison!

Quelques témoignages, relatés de-ci de-là, montrent la brutalité des méthodes censées rééduquer la personne qui était supposée avoir subi un « lavage de cerveau ». Entre autres, celui de David Moore, adepte de Hare Krishna à Los Angelès, qui fut enlevé et séquestré dans une chambre de motel à Chula Vista (Californie). Il fût malmené par un déprogrammeur commandité par ses propres parents, qui selon lui, l’a battu et harcelé mentalement, torturé avec de la glace sur le corps jour et nuit afin de lui faire renier ses croyances religieuses.

Une adepte de Moon, Sherri, 26 ans fût séquestrée chez elle pendant 75 jours avant de pouvoir s’échapper. Les fenêtres avaient été scellées et les serrures changées et fût soumise à l’Inquisition par les déprogrammeurs. Sans résultat.

Brian Sabourin, un adepte de Moon, vécut la même épreuve qui se solda par une dépression.

Dans les années 80, Le psychiatre Robert Jay Lifton recommande de bannir la terminologie de lavage de cerveau. Ce terme a engendré beaucoup de confusion. Robert Jay Lifton, dans son ouvrage « Psychologie du totalitarisme » a dégagé huit critères permettant d’évaluer le totalitarisme idéologique et sa mise en oeuvre dans des groupes, institutions, etc.

Robert Jay Lifton s’est illustré dans l’étude des méfaits de la guerre sur la psyché humaine. En 1961, il s’est penché sur la manipulation mentale pratiquées par les sectes ou la Chine maoïste. Il a créé le terme de « Though-Terminating cliché ». Il s’agit de phrases, d’aphorismes ou de notions aptes à empêcher une réflexion d’aboutir. C’est un procédé rhétorique de manipulation utilisé régulièrement pour souder une société, une communauté religieuse. C’est un raisonnement fallacieux.

Le psychologue Edgard.H.Schein a posé le problème de l’endoctrinement généralement accepté dans notre culture et celui des prisonniers de guerre américains en Corée poussés par leurs geôliers à devenir communistes. Il s’est interrogé pour savoir si la méthode tient au contenu de l’endoctrinement ou bien à la persuasion coercitive. « Dans sa structure fondamentale, la persuasion coercitive chinoise n’est pas tellement différente de la persuasion coercitive dans les institutions de notre société dont le but est de modifier les croyances et les valeurs fondamentales.»  Pour Shein, les techniques de « lavage de cerveau » dans les camps de prisonniers ont généralement été inefficaces. Elles n’obtiennent que la modification du comportement sur le court terme. Son point de vue a été critiqué par ceux qui allèguent une modification profonde de la psyché dans le cas des techniques prosélytes utilisées dans les religions marginales ou groupes totalitaires. Edgar Shein reconnaît la difficulté de discerner la coercition acceptée et la coercition subie. L’information reste encore le meilleur moyen de prévention sur les techniques de prosélytisme des groupes totalitaires.

Après, le degré d’emprise mentale avec celle de la perte du libre arbitre reste à définir, et  c’est subjectif. Si l’on aide un adepte à sortir d’une secte, comment l’aider à se reconstruire en sachant qu’il est impossible de retrouver sa personnalité antérieure?  L’ex-adepte doit pouvoir s’insérer dans la société et vivre comme tout le monde.

Le métier de déprogrammeur a changé depuis ses débuts. En 1988, un ancien adepte de Moon,  Steven Hassan a créé le concept d’exit-counseling, exfiltreur de secte. Il avait lui-même subi un deprogramming qui l’avait laissé sur le carreau. Il a quitté la secte mais l’esprit en miettes: « Je comprends que mes parents m’aient fait subir ce qu’on appelle « un deprogramming »mais je n’en suis pas sorti indemne d’une certaine façon, ils ont utilisé les mêmes armes que la secte. » Pendant des années, il mettra au point une méthode basée non sur la contrainte mais sur le dialogue avec la famille et l’adepte. Un exit counseling réussi « est le fruit d’un long travail en amont et d’une collaboration étroite avec les proches de la victime. » Steven Hassan est à la tête d’une véritable entreprise, le Freedom Of Mind Resource Center (Massassuchets). Il a exfiltré des centaines de personnes.

Et l’exit counseling en Europe?

Il existe en Italie et a été introduit en France depuis quelque années par un avocat. Il a été utilisé, notamment, avec une partie des « reclus de Monflanquin ». L’affaire se termina par la condamnation à dix ans de prison du gourou Thierry Tilly. L’exit counseling est très peu connu en France. Il est coûteux (parfois plus de 20 000 euros), et il serait mis en oeuvre des techniques de psychologie comportementale.

L’équipe, selon le Nouvel Obs, se compose de cinq personnes: un détective, deux psychologues, un psychanalyste et un avocat. Sous la supervision d’un avocat chargé du respect du cadre légal. « L’intervention se monte comme une interpellation dans le milieu judiciaire », raconte un gendarme en contact avec le groupe. Cette technique étant confidentielle en France, il est de bon aloi d’être dans la suspension du jugement tout en s’interrogeant de savoir s’il n’y a pas d’autres méthodes prônées par les professionnels de la santé mentale pour aider les victimes à sortir du piège de l’emprise mentale. Voilà l’état des lieux de l’exit counseling d’aujourd’hui, et on ne dispose pas suffisamment de données pour évaluer l’efficacité et le bien fondé de cette méthode sur le plan de la psyché. « Le totalitarisme veut atteindre la racine même de la pensée et de la sensibilité, tuer la source de l’indépendance intellectuelle et morale en chaque individu…il veut se substituer à nous en chacun de nous, régner en maître à l’intérieur des consciences.» (Jean-François Revel).

Holy Smoke de Jane Campion reste un film sur les incertitudes de la spiritualité, le choix des croyances religieuses et le libre arbitre, et sur la manipulation mentale. Nous sommes tous manipulés et tous manipulateurs.

Sources:
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20140716.OBS3843/l-exit-counseling-ou-comment-exfiltrer-les-adeptes-des-sectes.html http://www.cicns.net/Deprogramming.htm
http://fr.metrotime.be/2015/03/03/must-read/le-gourou-dune-secte-a-convaincu-400-hommes-de-se-castrer/ http://ns4005993.ip-192-99-13.net/saibaba1.htm

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1061 http://derive-sectaire.fr/aider-quelquun-a-sortir-dune-secte/2243-2/