LES MAISONS DE RETRAITE, UN NON SENS GÉRONTOLOGIQUE!

Avec les maisons de retraite, la gérontologie est détournée de sa vocation première qui est de favoriser l’autonomie et l’activité. Un non-sens gérontologique qui a l’effet inverse.

Photo de Edu Carvalho sur Pexels.com

En novembre dernier, la journaliste Maria Sosa Troya du journal El País avait interviewé Adeline Comas-Herrera, spécialiste des politiques du vieillissement, sur les conséquences des mesures de restrictions sanitaires chez les résidants des maisons de retraite. Elle a constaté que les restrictions sanitaires avaient eu en Espagne des effets délétères observées également en France. Les grands séniors ont été profondément affectés dans leur psyché par les privations diverses que n’aurait pas renié le sociologue et linguiste canadien Irving Goffman, célèbre par l’écriture d’Asiles, qui a étudié les interactions et contraintes dans les hôpitaux psychiatriques de l’époque aux États-Unis dans les années 60. Dans ses dérives ou/et délires (c’est selon), certains Ehpads sont des institutions totalitaires dans l’âme! Si l’analyse de Goffman est dépassée pour la prise en charge des personne souffrant de troubles psychiatriques, je la trouve toujours d’actualité pour les maisons de retraite privées et publiques. Avec la pandémie, on a a retiré tout bien-être psychologique indispensable à une vie quotidienne agréable pour ces séniors. Même si la population générale a été assignée à résidence, aucune commune mesure avec ce qu’ont vécu les résidents d’Ehpad selon le mantra « on sauve des vies »! Un couperet!

Adeline Comas-Herrera trouve obsolète le modèle actuel des maisons de retraite qui ne permet pas une prise en charge humaniste des personnes du grand âge. Elle n’est pas la seule à le penser haut et fort! Le gériatre belge Peter Janssen a publié un plaidoyer pertinent publié dans Le Courrier International contre cette forme d’établissement peu propice au bien-être des résidents.

Huit bonnes raisons pour Peter Janssen de décrier les maisons de retraite, mais il propose également des piste de réflexion pour offrir aux séniors d’autres alternatives de vie plus agréables que l’amélioration des Ehpad. Le lecteur intéressé peut les consulter car l’article est en libre accès.

L’un des points fort parmi ces huit raisons est qu’ils y vont souvent contre leur gré, et souhaiteraient rester chez eux dans leur environnement familier. Or malheureusement, les familles n’ont souvent que cette option, et il ne s’agit nullement de jeter l’opprobre sur elles si elles ne peuvent pas prendre leurs parents chez eux. L’aide à domicile pour les aidants est à repenser entièrement!

Autre point fort que j’ai retenu dans cet article est que la prise en charge dans ces lieux ne correspond plus à la réalité médicale d’aujourd’hui. « Le vieillissement de la population bouleverse le monde médical. « La plupart des maladies ne sont plus aiguës, mais chroniques…Les maladies chroniques sont des maladies lentes, qui exigent une approche préventive contraignante, similaire à celle adoptée contre le Covid-19.» écrit dans cet article Peter Janssen. Or, selon lui, il faut agir sur l’environnement et le comportement. Et il serait possible d’éviter 80% des maladies chroniques en prônant l’arrêt du tabac, une alimentation équilibrée et l’exercice physique. La médecine préventive alliée à la gérontologie est à repenser en dehors des consultations avec le médecin généraliste et les spécialistes quand les maladies deviennent chroniques.

Avec les maisons de retraite, la gérontologie est détournée de sa vocation première qui est de favoriser l’autonomie et l’activité. Un non-sens gérontologique car c’est tout le contraire qui se passe dans les Ehpad, et ainsi sont favorisés la dépendance, la maladie et l’abandon. La désocialisation au bout du chemin avec parfois le syndrome de glissement.

Une excellent raison invoquée par Peter Janssen est que les maisons de retraite favorisent la ségrégation générationnelle. Force est de constater que l’âgisme est un fléau qui réflète l’absence d’indulgence envers les personnes du grand âge qui sont accusées de freiner la marche de la société. Et nul besoin d’être en Ehpad pour l’âgisme!

L’article du Courrier International, propice à la réflexion, m’a incitée à aller voir du côté de la spécialité de gérontologie et de gériatrie. La différence entre ces deux facettes du vieillissement est subtile et s’interpénètre: En théorie, la gérontologie est complémentaire de la gériatrie qui est la médecine de la vieillesse. Mais en pratique, la case gérontologie, spécialité du vieillissement et de ses pathologies physiques et psychologiques est occultée dans l’esprit du public au profit de la gériatrie, la médecine de la vieillesse qui regroupe les soins préventifs, curatifs et palliatifs qui s’adresse au grand âge.

Selon certaines sources, en 2020, sur un total de 226 619 médecins il y a 2232 gériatres avec des inégalités de densité par région. 3 médecins gériatres pour 100 000 adultes de 75 ans et plus. Une spécialité féminisée à 60%.

Les psychologues, profession complémentaire au corps médical, ont leur mot à dire. L’approche psychologique tient une place déterminante dans le domaine du vieillissement?Les psychologues sont en mesure de proposer un soutien psychothérapeutique, des ateliers de langage ou de mémoire. Ils peuvent détecter toute situation susceptible de perturber une personne âgée et son entourage. Leur rôle auprès des personnes âgées est sous-estimée et pourtant l’Ehpad est le premier employeur des psychologues, et des universités proposent une formation en gérontologie. Cette spécialité a le vent en poupe parmi les psychologues.

La pandémie actuelle a révélé la fragilité du modèle en ruines depuis de nombreuses années des maisons de retraite. Il faut repenser le vieillissement selon une approche humaniste. Celle-ci est pour le Dr Eric Maeker, l’essence même de la gériatrie et de la psychogériatrie. Les valeurs qui sous-tendent l’approche envers les personnes âgées sont: l’éthique des pratiques de soin le respect de la dignité humaine, de la personne, de son autonomie ainsi que l’empathie et le souci de son bien-être!

En guise de conclusion, j’ai trouvé un dessin (certes un peu exagéré) des multitâches demandées à un psychologue spécialisé en gérontologie.

Dessin illustrant « exagérément » la fonction multitâche du diplômé en psychogérontologie. Source: https://www.psychogeronto.eu/IMG/pdf/resultats-enquete-psychologues-gerontologie-2014.pdf

GAGATORIUM, QUATRE ANS DANS UN MOUROIR DORÉ, UN LIVRE EN PLEIN DANS LE MILLE!

Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes.

Couverture du livre de Christie de Ravenne, auteur du livre « Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré ».

En novembre dernier, j’ai écrit un billet sur les conséquences délétères des restrictions sanitaires dans les résidences pour séniors en France et en Europe. Une tragédie pour les résidents et leurs proches qui n’ont pu être présents auprès d’eux! En France, avec la flambée des contaminations due au variant omicron, un certain nombre d’Ehpad ont refermé leurs portes pour confiner de nouveau les résidents pourtant dûment vaccinés avec les trois doses. Les visites sont de nouveau restreintes aux familles et de nombreuses activités sociales suspendues même en dehors des Ehpad. Tous les Ehpad ne sont pas concernés par ces mesures liberticides certes et les contradicteurs rétorquent que statisquement, il s’agit d’une minorité d’Ehpad! L’humain et la compassion ne se quantifient pas! X C’est encore trop et le bien-être des résidents? Leur moral?

Des gériatres sont vent debout contre ces mesures de confinement. La Société française de gériatrie et de gérontologie veut éviter « d’entraver les libertés des résidents »Dans un communiqué, elle demande de revoir les protocoles sanitaires dans les Ehpad car « nous ne sommes plus face au même virus » avec la circulation du variant Omicron. « Nous ne pouvons donc plus apporter les mêmes réponses médicales sur le terrain que celles que nous apportions face au variant Delta », assure la Société de gériatrie. 

Adeline Comas-Herrera, économiste de la politique du vieillissement, a constaté que de nombreux pays européens avaient été trop loin dans les restrictions sanitaires envers les résidents de maisons de retraite. Elle appelle de ses voeux « que lorsqu’une personne se rend dans une résidence, elle continue d’avoir le droit à une vie de famille et de décider de son quotidien.» C’est manifestement raté quand les témoignages des familles s’accumulent. Sans se faire d’illusions, on se dit que si actuellement si ce n’est pas « joyeux », avec le temps, les conditions de vie des séniors dans les résidences (ou dans d’autres structures plus accueillantes) s’amélioreront après une remise à plat de ce modèle institutionnel en faisant pression sur les instances gouvernementales. L’approche envers la prise en charge des grands séniors dans les Ehpad est obsolète, c’est ce qu’a montré la pandémie.

Si la pandémie l’a mise au grand jour, la maltraitance physique et psychologique des personnes âgées dans le milieu institutionnel ne date pas d’hier. L’actualité l’illustre encore avec la sortie du livre Les Fossoyeurs, Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (publié chez Fayard) du journaliste et réalisateur Victor Castanet. Il y dénonce les conditions épouvantables dans lesquelles vivent les séniors dépendants des maisons de retraite du système Orpea! Il ne prétend pas que dans tous les Ehpad privés, les résidents sont maltraités mais il veut montrer que pour certains décideurs la vieillesse est devenue, selon lui, un filon lucratif au détriment du bien-être des résidents. Quelques extraits de ce brûlot qui fait le buzz sont partagés sur twitter. Je n’ai pas lu ce livre mais les extraits publiés dans le presse sont éloquents. Ce que vivent les résidents est innommable.

Et pourtant d’autres livres sur la maltraitance du grand âge ont déjà lancé l’alerte. Il y a celui de François Nénin et de Sophie Lapart, sorti en 2011, L’Or Gris. « Un gisement d’or gris qui marge à 25%« peut-on lire sur la quatrième de couverture. « Ce secteur du grand âge est un archaïsme en France. On traite nos aînés de façon totalement archaïque et selon des standards très éloignés de ce que l’on pourrait attendre parce que vous n’avez pas le choix.»

Des solutions existent. C’est ce à quoi s’emploie Le gériatre Thierry Le Brun qui a rédigé le guide Améliorer la qualité et le bien-être en Ehpad. Approche humaniste et holistique dans les Ehpad. Évidemment, moins médiatisé que le livre de Victor Castanet, mais il y a une mine de propositions à mettre entre les mains des acteurs de la santé. Pour l’auteur, il est important de valoriser l’accompagnement aux résidents. Dans une interview qui figure sur le site de la maison d’édition Le Coudrier, il cite le cas d’une résidente qui regarde la télévision tard dans la nuit. Pour Thierry Le Brun, tout doit être mis en oeuvre jusque dans les moindres détails dans l’Ehpad pour que cette résidente puisse la regarder à sa guise.

Je n’ai pas attendu l’actualité pour me sensibiliser à la maltraitance institutionnelle des séniors dépendants. L’un des livres sur la maltraitance des séniors qui m’a marqué est celui de Christine de Ravenne, publié en 2013, Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré. Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes. J’avais déjà fait une recension de ce livre sur mon blog et je la partage de nouveau car s’il est sorti en 2013, il reste malheureusement d’actualité.

Avec verve, cette ancienne journaliste et conseillère en formation auprès d’entreprises, surnomme l’EPHAD où elle a séjourné « gagatorium ». Cette pétulante sénior de quatre vingt ans, à l’époque, avait décidé de prendre la plume pour dénoncer les conditions de vie dans certains EPHAD.

Quelques extraits forts de ses propos donnent le ton de la vie dans cette maison de retraite bretonne: « J’ai 80 ans et je ne supporte pas d’être enfermée, même dans un mouroir doré sur tranche. Si je sors vivante de mon gagatorium, me suis-je promis, je témoignerai pour tous les vieux qui n’ont pas la parole. Après quatre ans de cauchemar, j’ai enfin pu m’évader de la résidence privée et très bling-bling de Ker-Eden. Mais j’y ai laissé ma santé et mon modeste patrimoine. Aujourd’hui, j’accuse ! J’accuse la mafia de “l’or gris” de commettre bien des abus, en toute impunité, et d’exercer une maltraitance physique, morale et financière sur les vieux. J’accuse les pouvoirs publics, responsables du vide juridique abyssal qui permet tous ces abus. J’accuse les familles, trop souvent indifférentes, qui ferment les yeux. Malmenés, plumés, bâillonnés, ce sont vos parents qui vivent dans des gagatoriums. Demain, si vous n’y prenez garde, ce sera vous. »( sur Babelio)»

J’ai trouvé cette recension de lailasambiru sur le site Babelio: Ce livre pose toute la question des conditions réelles de vie en maison de repos, plus précisément ici en « résidences de luxe », et essaie de nous décrypter quelques-unes des arnaques qui y règnent en maitres. Le texte est vindicatif, agressif, mais oh combien réaliste et nous montre que le souhait d’une vie paisible avant la mort, en profitant de ses efforts durant la vie active, n’est pas toujours d’actualité dans ce type d’endroit. J’ai particulièrement apprécié le style vivant, sans retenue de l’auteur, qui nous décrit très bien sa lutte mentale et physique pour ne pas devenir un objet, à la merci du mépris, du manque de considération et d’humanité des responsables de ces établissements. Une excellente réflexion et une lecture à recommander.

Pour Christine de Ravenne, cette mauvaise expérience n’est plus. Elle a retrouvé sa liberté et a pu déménager de Ker-Eden. D’autres séniors n’ont pas cette chance, contraints au silence! En 2013, année de la parution du livre de Christie Ravenne, un scandale de maltraitance avait éclaté à l’hôpital de Gisors. Deux aides soignantes de l’Ehpad avaient maltraité des patients âgés et très vulnérables. Cinq photos retrouvées sur place montrent les victimes dans des positions et  tenues dégradantes (dénudées, couches culottes). Tous des séniors gravement handicapés et placés sous tutelle.

Aujourd’hui c’est au tour des maisons de retraite Orpea: « …les commandes sont faites, au plus juste, et uniquement le 25 du mois. Autrement dit, explique Saïda Boulahyane, une auxiliaire de vie témoignant dans le livre de Victor Castanet, elle doit « se battre pour obtenir des protections » pour les résidents, avec un rationnement sévère : « c’était trois couches par jour maximum. (…) Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie »

Et pourtant, certains Ehpad ont un fonctionnement humaniste. Comme à la résidence de Kersalic près de Guingamp (Côtes d’Armor). Les habitants y vivent comme dans un village. Les résidents font un jeu de rôles en endossant un métier qui fait vivre un village. On y trouve un café, une épicerie, une brasserie, une place du centre et un bureau de poste.

Vidéo sur les freins au bien-être dans les Ehpad par Thierry Le Brun