GAGATORIUM, QUATRE ANS DANS UN MOUROIR DORÉ, UN LIVRE EN PLEIN DANS LE MILLE!

Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes.

Couverture du livre de Christie de Ravenne, auteur du livre « Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré ».

En novembre dernier, j’ai écrit un billet sur les conséquences délétères des restrictions sanitaires dans les résidences pour séniors en France et en Europe. Une tragédie pour les résidents et leurs proches qui n’ont pu être présents auprès d’eux! En France, avec la flambée des contaminations due au variant omicron, un certain nombre d’Ehpad ont refermé leurs portes pour confiner de nouveau les résidents pourtant dûment vaccinés avec les trois doses. Les visites sont de nouveau restreintes aux familles et de nombreuses activités sociales suspendues même en dehors des Ehpad. Tous les Ehpad ne sont pas concernés par ces mesures liberticides certes et les contradicteurs rétorquent que statisquement, il s’agit d’une minorité d’Ehpad! L’humain et la compassion ne se quantifient pas! X C’est encore trop et le bien-être des résidents? Leur moral?

Des gériatres sont vent debout contre ces mesures de confinement. La Société française de gériatrie et de gérontologie veut éviter « d’entraver les libertés des résidents »Dans un communiqué, elle demande de revoir les protocoles sanitaires dans les Ehpad car « nous ne sommes plus face au même virus » avec la circulation du variant Omicron. « Nous ne pouvons donc plus apporter les mêmes réponses médicales sur le terrain que celles que nous apportions face au variant Delta », assure la Société de gériatrie. 

Adeline Comas-Herrera, économiste de la politique du vieillissement, a constaté que de nombreux pays européens avaient été trop loin dans les restrictions sanitaires envers les résidents de maisons de retraite. Elle appelle de ses voeux « que lorsqu’une personne se rend dans une résidence, elle continue d’avoir le droit à une vie de famille et de décider de son quotidien.» C’est manifestement raté quand les témoignages des familles s’accumulent. Sans se faire d’illusions, on se dit que si actuellement si ce n’est pas « joyeux », avec le temps, les conditions de vie des séniors dans les résidences (ou dans d’autres structures plus accueillantes) s’amélioreront après une remise à plat de ce modèle institutionnel en faisant pression sur les instances gouvernementales. L’approche envers la prise en charge des grands séniors dans les Ehpad est obsolète, c’est ce qu’a montré la pandémie.

Si la pandémie l’a mise au grand jour, la maltraitance physique et psychologique des personnes âgées dans le milieu institutionnel ne date pas d’hier. L’actualité l’illustre encore avec la sortie du livre Les Fossoyeurs, Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (publié chez Fayard) du journaliste et réalisateur Victor Castanet. Il y dénonce les conditions épouvantables dans lesquelles vivent les séniors dépendants des maisons de retraite du système Orpea! Il ne prétend pas que dans tous les Ehpad privés, les résidents sont maltraités mais il veut montrer que pour certains décideurs la vieillesse est devenue, selon lui, un filon lucratif au détriment du bien-être des résidents. Quelques extraits de ce brûlot qui fait le buzz sont partagés sur twitter. Je n’ai pas lu ce livre mais les extraits publiés dans le presse sont éloquents. Ce que vivent les résidents est innommable.

Et pourtant d’autres livres sur la maltraitance du grand âge ont déjà lancé l’alerte. Il y a celui de François Nénin et de Sophie Lapart, sorti en 2011, L’Or Gris. « Un gisement d’or gris qui marge à 25%« peut-on lire sur la quatrième de couverture. « Ce secteur du grand âge est un archaïsme en France. On traite nos aînés de façon totalement archaïque et selon des standards très éloignés de ce que l’on pourrait attendre parce que vous n’avez pas le choix.»

Des solutions existent. C’est ce à quoi s’emploie Le gériatre Thierry Le Brun qui a rédigé le guide Améliorer la qualité et le bien-être en Ehpad. Approche humaniste et holistique dans les Ehpad. Évidemment, moins médiatisé que le livre de Victor Castanet, mais il y a une mine de propositions à mettre entre les mains des acteurs de la santé. Pour l’auteur, il est important de valoriser l’accompagnement aux résidents. Dans une interview qui figure sur le site de la maison d’édition Le Coudrier, il cite le cas d’une résidente qui regarde la télévision tard dans la nuit. Pour Thierry Le Brun, tout doit être mis en oeuvre jusque dans les moindres détails dans l’Ehpad pour que cette résidente puisse la regarder à sa guise.

Je n’ai pas attendu l’actualité pour me sensibiliser à la maltraitance institutionnelle des séniors dépendants. L’un des livres sur la maltraitance des séniors qui m’a marqué est celui de Christine de Ravenne, publié en 2013, Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré. Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes. J’avais déjà fait une recension de ce livre sur mon blog et je la partage de nouveau car s’il est sorti en 2013, il reste malheureusement d’actualité.

Avec verve, cette ancienne journaliste et conseillère en formation auprès d’entreprises, surnomme l’EPHAD où elle a séjourné « gagatorium ». Cette pétulante sénior de quatre vingt ans, à l’époque, avait décidé de prendre la plume pour dénoncer les conditions de vie dans certains EPHAD.

Quelques extraits forts de ses propos donnent le ton de la vie dans cette maison de retraite bretonne: « J’ai 80 ans et je ne supporte pas d’être enfermée, même dans un mouroir doré sur tranche. Si je sors vivante de mon gagatorium, me suis-je promis, je témoignerai pour tous les vieux qui n’ont pas la parole. Après quatre ans de cauchemar, j’ai enfin pu m’évader de la résidence privée et très bling-bling de Ker-Eden. Mais j’y ai laissé ma santé et mon modeste patrimoine. Aujourd’hui, j’accuse ! J’accuse la mafia de “l’or gris” de commettre bien des abus, en toute impunité, et d’exercer une maltraitance physique, morale et financière sur les vieux. J’accuse les pouvoirs publics, responsables du vide juridique abyssal qui permet tous ces abus. J’accuse les familles, trop souvent indifférentes, qui ferment les yeux. Malmenés, plumés, bâillonnés, ce sont vos parents qui vivent dans des gagatoriums. Demain, si vous n’y prenez garde, ce sera vous. »( sur Babelio)»

J’ai trouvé cette recension de lailasambiru sur le site Babelio: Ce livre pose toute la question des conditions réelles de vie en maison de repos, plus précisément ici en « résidences de luxe », et essaie de nous décrypter quelques-unes des arnaques qui y règnent en maitres. Le texte est vindicatif, agressif, mais oh combien réaliste et nous montre que le souhait d’une vie paisible avant la mort, en profitant de ses efforts durant la vie active, n’est pas toujours d’actualité dans ce type d’endroit. J’ai particulièrement apprécié le style vivant, sans retenue de l’auteur, qui nous décrit très bien sa lutte mentale et physique pour ne pas devenir un objet, à la merci du mépris, du manque de considération et d’humanité des responsables de ces établissements. Une excellente réflexion et une lecture à recommander.

Pour Christine de Ravenne, cette mauvaise expérience n’est plus. Elle a retrouvé sa liberté et a pu déménager de Ker-Eden. D’autres séniors n’ont pas cette chance, contraints au silence! En 2013, année de la parution du livre de Christie Ravenne, un scandale de maltraitance avait éclaté à l’hôpital de Gisors. Deux aides soignantes de l’Ehpad avaient maltraité des patients âgés et très vulnérables. Cinq photos retrouvées sur place montrent les victimes dans des positions et  tenues dégradantes (dénudées, couches culottes). Tous des séniors gravement handicapés et placés sous tutelle.

Aujourd’hui c’est au tour des maisons de retraite Orpea: « …les commandes sont faites, au plus juste, et uniquement le 25 du mois. Autrement dit, explique Saïda Boulahyane, une auxiliaire de vie témoignant dans le livre de Victor Castanet, elle doit « se battre pour obtenir des protections » pour les résidents, avec un rationnement sévère : « c’était trois couches par jour maximum. (…) Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie »

Et pourtant, certains Ehpad ont un fonctionnement humaniste. Comme à la résidence de Kersalic près de Guingamp (Côtes d’Armor). Les habitants y vivent comme dans un village. Les résidents font un jeu de rôles en endossant un métier qui fait vivre un village. On y trouve un café, une épicerie, une brasserie, une place du centre et un bureau de poste.

Vidéo sur les freins au bien-être dans les Ehpad par Thierry Le Brun

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

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