
L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux femmes célibataires et aux homosexuelles est en passe d’être adoptée cet été. Aujourd’hui, je vous propose une mise à jour d’un post que j’avais rédigé en janvier 2018, et que j’ai enrichi avec l’actualité. La PMA (Procréation Médicalement Assistée) ou terme plus médical, celui d’AMP est l’un des sujets sociétaux les sensibles au programme avec la Fécondation In Vitro (FIV) et la GPA (mères porteuses). Il était possible d’en débattre sereinement il y a dix ans lors de séminaires confidentiels réservés aux professionnels de la santé et de la justice où des philosophes comme Sylviane Agacinsky était invitée pour s’exprimer avec d’autres invités venus de pays européens. Aujourd’hui, il en est tout autrement. La philosophe, farouchement opposée à la GPA, a vu un débat annulé sur le thème de « l’être humain à l’époque de sa reproductibilité » puis reprogrammé à Bordeaux à la suite de menaces.
Jusqu’au vote de la loi P.M.A était « réservée dans notre pays aux couples hétérosexuels en âge de procréer qui n’arrivent pas à avoir un enfant naturellement par des voies naturelles », qui sont stériles médicalement. Un couple hétérosexuel sur huit serait concerné par l’AMP! Selon l’origine de la stérilité la PMA fait appel à une ou plusieurs techniques différentes, de l’insémination artificielle à la congélation des embryons. Les protocoles des FIV varient suivant les causes à traiter. Les FIV se font en partie à partir du don de gamètes qui consistent à donner anonymement et gratuitement son sperme ou ses ovocytes (avec technique de vitrification ou non). L’une des particularités de notre pays est que le don de gamètes est totalement gratuit ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays européens où les donneurs sont rémunérés. Cette révision de la loi peut modifier la donne sur ce sujet car depuis des années, certains médecins craignent une pénurie de gamètes. Les avis sont partagés, et il faudra certainement de nouvelles structures adaptées s’il y a un afflux de demande de FIV. Terra Incognita!
Avant que la loi ne soit votée cette semaine, les personnes stériles qui ne rentrent pas dans les critères de la législation française, et qui avaient envie d’avoir un enfant se tournaient vers d’autres pays où la législation de la PMA est plus souple. Cela peut heurter les sensibilités mais comment critiquer la souffrance de personnes désireuses d’avoir un enfant? La suspension du jugement s’impose. Là, ce n’est pas gagné car c’est devenu une bataille politique et de lobbies divers, et la lecture des réseaux sociaux sur ce sujet est joyeuse!
La PMA, nouvelle mouture, continuera d’être remboursée par la Sécurité Sociale aux couples hétérosexuels infertiles suivant les critères médicaux définis depuis des décennies, mais ne le sera pas pour des FIV de convenance où il n’y a pas d’infertilité médicale. Mais la chambre des députés aura le dernier mot!
L’adoption de cette loi va-t-elle avoir un impact sur le tourisme procréatif? Des femmes vont-elles continuer à faire appel à des banques de sperme étrangères si elles ne passent pas le cap de la supposée évaluation psychologique, médicale et sociale requise par la loi? L’émission de Sept à huit avait diffusé en avril 2017 un documentaire éloquent sur la société Cryos, une banque européenne de sperme qui évoque le tourisme procréatif.
Cryos International est la première banque de sperme qui pratique à l’échelle industrielle la vente de gamètes, et notamment par correspondance. Si vous tapez sur le moteur de recherche Google, la société Cryos est la banque de sperme qui apparaît en premier. Cette société a été créée en 1991 et est basé à Arthus au Danemark. Son créateur Ole Schau (63 ans), n’a aucune formation médicale, et il est titulaire d’un diplôme d’une grande école de commerce.
Alors, comment ces femmes s’y prenaient-elles pour contourner la loi française et obtenir une FIV en s’adressant à Cryos? Elles la commandent tout simplement via le site internet Cryos, et choisissent le père biologique sur catalogue. Il est aujourd’hui possible, à l’étranger, de choisir certains critères génétiques du futur enfant comme la couleur de ses yeux, de ses cheveux et de sa peau et autres caractéristiques.
En créant Cryos, Ole Schau voulait aider les femmes stériles. « Je voulais rendre service aux gens » affirme-t-il à qui veut l’entendre, « et puisqu’ils rêvent de petits Aryens blonds yeux bleus », Ole Schau les comble. Face aux accusations d’eugénisme (on est en droit de s’interroger à ce sujet), il répond: « toute notre société est fondée sur la sélection naturelle. Il est normal que des parents puissent choisir un géniteur selon leurs critères.». Il y a quelques années, Cryos avait suscité une vive polémique pour avoir refusé des donneurs roux. L’une des raisons invoquées par le fondateur de Cryos est qu’il n’y avait pas suffisamment de demandes. Dans l’une de ses interview, Olé Schau lance à ce sujet: « en même temps, nous manquons cruellement de diversité ethnique».
30 ans plus tard, Cryos est la plus grande banque de sperme européenne. Cryos est officiellement une banque de tissus autorisée au titre de la directive européenne sur les tissus et les cellules, et est conforme à la législation européenne. Il faut rappeler qu’il est interdit en France d’acheter des cellules vivantes, mais Cryos s’est bien débrouillé en surfant sur la législation. Cryos emploie aujourd’hui une centaine de personnes. L’entreprise génère entre 13 et 20 millions d’euros. Elle aurait dans sa base de données plus de 700 donneurs et plus de 100 litres de sperme congelé. Record homologué dans le Guinness book
Cryos a plusieurs groupes (fermés) sur le réseau social facebook pour faciliter les démarches pour une FIV: Cryos FR, Family Dreams-Cryos International, Insémination, Cryos: démarche et parcours.
Comment est constitué le catalogue virtuel qui permet de choisir les caractéristiques génétiques du donneur à transmette à son enfant? Chaque donneur de la banque de sperme est anonyme et référencé par un numéro. Le poids, la taille (les pères doivent mesurer au minimum 1,70 m) la couleur des cheveux, celle des yeux, le niveau d’études et l’ethnie sont précisés sur le catalogue.
Comment se passe la vente en ligne d’une FIV avec Cryos? Et bien comme sur votre d’achat préféré en ligne! La future mère après l’avoir choisi sur catalogue clique sur le géniteur choisi « , et le met dans l’icône « landeau » qui remplace l’icône panier des sites commerciaux. L’étape suivante est celle que nous connaissons tous quand nous achetons sur le net « mode de paiement par carte bancaire ».
Le paiement dûment enregistré, quelques jours plus tard, la future maman se voit livrer sa dose de sperme à domicile dans une bonbonne étanche. Il est joint au colis un mode d’emploi pour qu’elle puisse faire sa FIV chez elle. D’abord, elle doit faire décongeler les paillettes, et ensuite s’installer dans une position confortable pour les introduire avec une canule.
Alors pourquoi ces femmes choisissent-elles le « packaging Cryos »? Les raisons seraient principalement financières. Ce serait moins onéreux que d’aller dans une clinique de fertilité espagnole dont le coût avoisine les quinze mille euros. Faites les calculs! Avec Cryos, un achat en ligne coûte trois mille euros. Alors, peut-on parler de FIV Low Cost ? Avec la formule VPC, la femme a une chance sur trois de tomber enceinte. Selon Cryos, il y aurait près de 23 000 naissances en France avec leur formule. Dans un article de Paris Match, on peut lire que Cryos, en 2016, serait à l’origine de 246 grossesses en France. Les femmes célibataires représenteraient 40 % de sa clientèle, et Ole Schau pense que bientôt ce sera 70 % des célibataires qui feront appel au packaging Cryos.
La loi danoise prévoit qu’un donneur de sperme ne peut être à l’origine de plus de douze grossesses. La législation internationale étant très vague, pour engranger des bénéfices, Cryos va exporter 90 % de sa collecte dans plus de soixante dix pays. Cliniques privées (avec parfois des ristournes) et pour des particuliers. Cette diversification de l’activité de Cryos est une corne d’abondance pour la société en contournant en toute légalité les quotas fixés par les législations internationales. Comme n’importe quelle société commerciale, Cryos sponsorise des publicités sur les réseaux sociaux pour recruter de futures clientes. Est ce la FIV ou le désir d’enfant qui se marchande? Il est évident que le marketing de ces sites est alléchant! Comment ne pas craquer devant des superbes photos de bébés qui promettent le paradis parental?
Que se passe-t-il du côté du donneur anonyme? Cryos rémunère le don de sperme contrairement à la France. Si elle a le sens des affaires, la banque est aussi très exigeante sur la qualité des spermatozoïdes des donneurs. Huit candidats sur dix seraient recalés. Les maladies génétiques ou sexuellement transmissibles sont systématiquement dépistées. Les donneurs signent un contrat et touchent 60 euros par don (parfois plus en fonction des critères génétiques). C’est l’occasion d’arrondir les fins de mois avec une somme variant entre 300 et 1600 euros. La majorité des pères affirment que leur motivation principale n’est pas financière mais guidée par l’altruisme, et ainsi exaucer le désir d’enfant de femmes infertiles.
Il y a Cryos, mais l’entreprise ne fait que répondre aux demandes du « marché international de la procréation » souligné en ces termes judicieux par Sylviane Agacinski: « Sur ce marché mondialisé, la concurrence entre les entreprises est âpre : certains comme l’Institut Feskov, en Ukraine, affichent le “meilleur rapport qualité/prix”, incluant l’assurance-vie de la mère porteuse, un diagnostic préimplantatoire légal (permettant le choix du sexe et assurant un enfant en “bonne santé”), le choix d’un donneur ou d’une donneuse de gamètes du phénotype souhaité (européen, asiatique ou africain), un nombre de FIV illimité, c’est-à-dire des prélèvements d’ovocytes répétés et dangereux pour la donneuse. »
Le Danemark a modifié sa loi sur l’anonymat des pères biologiques. Il y a maintenant la possibilité de lever l’anonymat du père si l’enfant à sa majorité le souhaite en s’adressant un association spécialisée. Ainsi, une jeune fille conçue par FIV a pu grâce à cette association retrouver son père biologique et trois demi-frères. Un père qui s’est fait connaître reste en contact avec sa fille biologique. Et même le grand-père biologique a voulu connaître sa petite-fille! Et le devenir de l’enfant dans tout ça? Grande interrogation, n’est ce pas?
Le choix d’un bébé sur catalogue préoccupe Thomas Ploug, membre du Conseil d’éthique et professeur à l’université d’Aalbourg : « une tendance inquiétante se dessine, note-t-il. Nous passons d’une conception de l’enfant comme un don à une conception de l’enfant comme une donnée que l’on contrôle. Plus vous le profilez, plus vous en faites un objet. Ce ne peut qu’avoir des conséquences sur la façon dont les parents se comportent avec lui, sur leur dévouement. Bien sur, c’est infime, et dans la plupart des cas, cela se passe bien. C’est une question de dignité. Un objet, on peut s’en lasser et s’en débarrasser.»
On peut trouver sur le site de Cryos le témoignage d’un homme conçu en 1979 par FIV et avec un donneur anonyme. Ses parents ne lui avaient pas révélé les circonstances de sa naissance, comme cela était préconisé à l’époque, et ce pour ne pas déstabiliser psychologiquement l’enfant: « Je ne l’ai appris qu’à l’âge de 30 ans. J’étais alors en thérapie car je n’allais pas bien. C’est ma mère qui me l’a révélé, et c’est comme si j’avais enfin vu la lumière. J’avais tout pressenti. Depuis longtemps, je me cherchais des pères putatifs, alors même que mes relations avec mon père étaient bonnes. Lorsque j’ai su, j’étais très soulagé. Mais, après la phase d’euphorie, j’ai fait une dépression. Ma vie était bâtie sur un mensonge. J’ai mis beaucoup de temps à digérer. Le centre de don a refusé de me donner le nom du donneur. Je suis contre cet anonymat.» Il est hanté par le fait « qu’il lui manque une partie de son histoire ».
Ces bébés sur catalogue sont un fait de société rendu possible par la science médicale. On peut aussi penser aux risques d’eugénisme si tous les enfants sont ainsi conçus! Où est l’éthique dans tout ça quand on, constate que le « désir d’enfant » fait prospérer un commerce bien lucratif. L’avenir nous dira ce qu’il advient psychologiquement de tous ces enfants conçus ainsi sur catalogue. Aujourd’hui, il est trop tôt pour se prononcer mais on pense au « Meilleur des Monde » de Aldous Huxley et on aimerait que ce ne soit pas une sinistre prophétie.
L’un des moyens d’éviter les dérives éthiques, le droit à l’enfant plutôt que les droits des enfants, surtout la GPA (Gestation Pour Autrui), serait de réviser les lois sur l’adoption afin qu’un maximum d’orphelins soient adoptés dans les meilleures conditions, limitant ainsi le recours à la PMA.
Pour en savoir plus:
http://www.la-croix.com/Ethique/Sciences-Ethique/Sciences/Au-Danemark-des-bebes-sur-catalogue-2013-04-08-942785