PRÉVENIR LES ADDICTIONS CHEZ LES JEUNES: L’EXPÉRIENCE ISLANDAISE

En 1992, Harvey Milkman et son équipe de Denver ont créé un programme novateur pour les adolescents luttant contre la consommation de drogue et la petite délinquance.

Photo de Rudolf Kirchner sur Pexels.com

Dans le post intitulé « Alcoolisme et sensibilisation : les campagnes annulées », j’ai insisté sur l’importance des campagnes de marketing social axées sur la prévention de l’alcoolisme. J’ai souligné leur impact sur le comportement des individus ainsi que leur impact sur la santé. J’ai également partagé l’opinion d’un patient-expert et de plusieurs associations de lutte contre les addictions, qui étaient surpris de l’annulation des campagnes de prévention contre l’alcoolisme pendant la Coupe du Monde de rugby.

En 2018, j’avais rédigé sur ce blog un post sur le programme islandais de lutte contre la toxicomanie initié en 1992 qui a l’avantage de présenter une approche préventive globale. Je l’ai réactualisé car le principe du programme islandais est exemplaire. Il pourrait inspirer la France et, il complète mon précédent post sur les campagnes de prévention contre l’alcoolisme annulées en France.

Quelle est la situation en Europe concernant la consommation de substances psychoactives? En 2023, selon l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, la situation ne s’est pas améliorée. Les substances psychoactives sont particulièrement accessibles en Europe, en variété comme en quantité. La cocaïne est la substance en progression la plus forte (416% de saisies), suivie par le cannabis (+260%) et la méthamphétamine (+135%). Concernant l’alcool, parmi les 10 pays qui boivent le plus, neuf font partie de l’UE. Chaque année, un nombre effrayant de jeunes âgés de 15 ans et plus consomme 9,5 litres d’alcool pur. Ce qui équivaut à 109 litres de bière, 80 litres de vin et 24 litres de spiritueux.

Alors, évoquons l’exemple islandais avec quelques statistiques à l’appui. En 2017, l’Islande était considérée comme un modèle en matière de jeunes ayant une consommation quasi-inexistante d’addictions. Et ce modèle continue à faire ses preuves.

– En 1998, 17% des jeunes Islandais âgés de 15 à 16 ans consommaient du cannabis, tandis qu’en 2016, ce chiffre est tombé à seulement 7% ! Un adolescent sur quatre consomment du cannabis

– En 1998, 42% consommaient de l’alcool, et ils ne sont plus que 5% en 2016

– Et en 1998, ils étaient 23% à fumer et 3% en 2016.

Éloquent, non?

En 1997, le gouvernement islandais lance le programme Drug-Free Iceland. L’articulation de ce programme passe par des questionnaires anonymes soumis aux écoliers et aux collégiens, destinées à obtenir une radiographie des habitudes de consommations de ces jeunes.

Quelques exemples de questions : quand avez-vous bu pour la dernière fois ? Avez-vous déjà été ivre ? Avez-vous déjà essayé de fumer ? Combien de temps passez-vous avec vos parents, à quelles activités participez-vous ?etc…

L’Islande a réussi à obtenir des réductions spectaculaires de la consommation de tabac, d’alcool et de drogues au cours des 20 dernières années. Comment ont-ils fait ? Découvrez leur approche dans cet article : Comment l’Islande a détourné sa jeunesse des drogues, de l’alcool et du tabac.

Parmi les premières mesures, la vente d’alcool est interdite aux jeunes de moins de vingt ans. Il n’y a pas que ça. En France, la vente d’alcool est interdite aux mineurs. Mais le programme est innovant sur bien d’autres point.

Le modèle a été introduit par le psychologue et professeur américain Harvey Milkman. Il enseigne à Reykjavik pendant une partie de l’année et a écrit de nombreux livres sur la drogue. Vous pouvez en savoir plus sur lui en consultant sa page ici.

Au début des années 70, Harvey Milkman a observé la montée en flèche de la consommation de drogues, notamment le LSD et la marijuana. Sa thèse de doctorat s’est axée sur l’étude des substances psychoactives et psychostimulantes et leur lien avec le stress psychologique. Le stress est un élément essentiel de la vie, dont les effets varient d’une personne à l’autre. La consommation d’héroïne vise à atténuer le stress, tandis que celle d’amphétamines cherche à l’intensifier.

Les interrogations ci-dessus s’appliquent aux collégiens. Leur comportement instable et leur goût du risque sont en partie dus à l’immaturité du cerveau adolescent, notamment du cortex préfrontal. Le cerveau des adolescents est influencé par les hormones de la puberté, ce qui affecte directement la production de sérotonine. Certains adolescents recherchent ces effets en volant ou en consommant des substances psychostimulantes. L’alcool a aussi un impact sur la chimie du cerveau, en réduisant l’anxiété et en désinhibant les individus. Cette observation comportementaliste a conduit à l’idée de mettre en place un programme social pour aider les personnes à modifier leur état mental sans les effets négatifs des drogues.

En 1992, Harvey Milkman et son équipe de Denver ont créé un programme novateur pour les adolescents luttant contre la consommation de drogue et la petite délinquance. Plutôt que de se limiter à un traitement traditionnel, ils ont enseigné aux jeunes une variété de disciplines, telles que la musique, la danse, le hip-hop, l’art et les arts martiaux. L’idée était que ces activités pourraient influencer positivement la chimie du cerveau des adolescents, leur procurant les ressources nécessaires pour réussir dans leur vie. En réduisant l’anxiété et en renforçant leur confiance en eux, les participants ont développé des compétences personnelles qui leur ont permis de résister à la tentation de se droguer. Le programme, qui était initialement prévu pour une durée de trois mois, a été prolongé pour certains jeunes qui y sont restés jusqu’à cinq ans.

Milkman est invité en Islande pour parler de son travail, de ses découvertes et de ses idées. Il devient alors consultant pour le premier centre résidentiel de traitement de la toxicomanie pour adolescents à Tindar. Selon lui, l’idée était d’occuper les enfants avec des activités constructives et de leur offrir de meilleures alternatives.

Des enquêtes menées en Islande ont révélé des différences significatives entre les personnes qui consomment de l’alcool et des drogues et celles qui n’en consomment pas. Certains facteurs protecteurs ont été identifiés, tels que la participation à des activités organisées et le temps passé avec les parents. Ces enquêtes ont conduit à la mise en place d’un nouveau plan national de lutte, incluant des modifications des lois et l’interdiction de la publicité pour le tabac et l’alcool. Des organisations parentales ont également été créées dans chaque école pour renforcer les liens entre les parents et l’éducation de leurs enfants.

Depuis plusieurs années, l’Islande a adopté une loi pour empêcher les enfants de sortir après certaines heures. Les enfants âgés de 13 à 16 ans ne peuvent pas sortir après 22 heures en hiver et minuit en été. Les parents doivent s’engager à respecter certaines règles, comme ne pas permettre à leurs enfants d’organiser des fêtes en leur absence, ne pas acheter d’alcool et veiller à leur bien-être. Cette mesure a pour objectif de rétablir l’autorité parentale à la maison. L’Islande est le seul pays à avoir obtenu autant de résultats significatifs dans la lutte contre la toxicomanie et les addictions. Le programme islandais de prévention primaire repose sur le pragmatisme et le bon sens, et ses résultats prouvent son efficacité.

Depuis l’année 2000, le nombre d’adolescents hospitalisés chute. En vingt ans, le nombre d’admissions de mineurs est passé de 130 par moyenne à une trentaine par an.

Le modèle islandais a été adopté en 2019 dans trois communes de la Nouvelle-Calédonie. Environ 30% de la population de la Nouvelle-Calédon moins de 25 ans, et il y a une augmentation constante des actes de délinquance commis par des mineurs. Le professeur Harvey Milkman, qui était en mission dans ce pays, a déclaré que les données montrent des similarités avec l’Islande, il y a 20 ans, où environ 20% des adolescents déclaraient avoir été ivres au cours du mois. Actuellement, en Islande, ce taux est passé à 7%. Cette approche a également été adoptée au Chili et dans plusieurs villes de 28 pays dans le monde.

Avatar de Inconnu

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

Laisser un commentaire