
L’architecture peut s’avérer salvatrice pour les personnes souffrant de maladies mentales. Dans son livre « Les Espaces de la folie », l’architecte DPLG, Jean David Devaux, a étudié la perception de l’espace dans les maladies mentales, et comment l’architecture peut contribuer à sortir les malades de leur isolement.
Pour l’architecte Alfred Loos, «l’architecture éveille en l’homme des états d’âme. La tâche des architectes est de préciser ces états d’âme.»
L’architecture est en prise directe avec notre environnement et avec notre psyché. Et dans cet état d’esprit, on peut inclure l’architecture dans la discipline fort peu connue de la psychologie environnementale. Elle a de fortes connexions avec la psychologie sociale, mais elle s’en distingue en incluant toujours les dimensions physiques de l’environnement. Et rien n’empêche d’établir des ponts entre les deux disciplines ainsi qu’avec d’autres en sciences humaines.
L’environnement joue un rôle très important dans notre vie, et surtout le lieu d’habitation; avoir un tout au dessus de la tête est une condition essentielle pour se sentir en sécurité. L’habitat est un micro environnement, et il est le premier espace d’interaction de l’individu avec son environnement.
C’est son épicentre. L’habitat est à relier à la pyramide des besoins de Maslow. Il se situe au bas de la pyramide, avec les besoins qui poussent l’être humain à agir, parler et à se socialiser. Outre la consolidation du sentiment de sécurité en étant à l’abri des variations climatiques, l’habitat permet de satisfaire la plupart des besoins physiologiques primaires, et se révèle un espace de convivialité et de partage. Chez-soi, on prépare la nourriture et on la consomme avec sa famille ou des amis. Si la tendance aujourd’hui est de faire livrer ses repas, le rite du repas dans son foyer est incontournable.
Malheureusement, dans les maladies neurodégénératives comme la démence (la plus connue est celle d’Alzheimer), la relation avec l’environnement est altérée et les repères spatiaux sont chamboulés. Les personnes, au fil du temps, connaissent un déclin physique et cognitif. Au fur et à mesure que la maladie progresse, elles deviennent de moins en moins capables de s’occuper de leurs activités quotidiennes. Se repérer dans l’espace devient problématique; elles sont susceptibles d’errer, d’oublier d’où elles viennent et où elles vont. L’une des priorités pour leur intégrité physique est de créer un environnement sécurisé. Mais en dehors de sa création, il faut aussi que la personne ressente ce sentiment de sécurité comme si elle était chez elle ».
Comme nous, les malades atteints maladies neurodégénératives cherchent à comprendre le monde qui les entoure. Elles privilégient leur mémoire à long terme plutôt que la mémoire à court terme. Leurs repères spatio-temporels sont différents des nôtres ainsi que leur réalité, et c’est fortement anxiogène pour elles. La familiarité est une condition essentielle pour se sentir en sécurité. Les personnes atteintes de démence le sont dans leur maison. Mais, très souvent, elles doivent aller dans un institut médicalisé, et ce nouvel espace de vie peut les perturber et aggraver leurs symptômes. Pour que cet endroit devienne familier, il faut recréer une atmosphère qui leur rappelle leur passé comme des vieilles photos, des meubles qu’ils avaient chez eux. Ce n’est pas toujours suffisant pour « l’appropriation » qui est un élément essentiel de l’identité spatiale. Un institut médical est un lieu froid et impersonnel, et y vivre en permanence est à l’opposé de l’environnement douillet du chez-soi qu’ont du quitter ces patients à cause de leur maladie.
Alors comment recréer un lieu de vie qui leur rappelle leur maison, favorise leur sentiment de sécurité et renforce les protocoles de prise en charge psychologique?
La société « True Doors » a eu l’idée ingénieuse de proposer aux patients, vivant en institut, d’imprimer leur porte de chambre grandeur nature, à l’identique celle de leur ancienne maison. Le but est qu’ils puissent se sentir comme chez eux et ne soient pas déboussolés par la vie en institut. Ces portes, personnalisées sous les directives des pensionnaires, atténuent l’atmosphère impersonnelle d’une résidence médicalisée, et permettent de recréer un environnement de vie plus chaleureux et convivial. L’image d’une « porte reconnaissable entre mille » qui ressemble à celle de leur maison qu’ils ont quitté dans ce lieu médicalisé est positive à de nombreux égards.
De plus, ces autocollants de la société True Doors stimulent la mémoire et les aident à s’orienter. Le simple fait ainsi de personnaliser sa porte ouvre à ces patients littéralement une porte vers le passé. Voir un élément d’architecture aussi familier que sa porte d’entrée engendre des émotions positives et stimule la mémoire à long terme. Les relations avec le personnel soignant et les autres résidents s’en trouvent facilitées car derrière chaque porte « customisée », il y a une histoire personnelle qui favorise « la thérapie de la réminiscence » qu’ils suivent dans l’institut. On pourrait aussi appliquer ce principe à n’importe quel type de thérapie, et je pense à l’une de mes favorites qu’est la Remédiation Cognitive.
Cette simple idée de coller des stickers rappelant la décoration des habitats du passé ont inspiré les blogs de personnes souffrant de maladies neurodégénératives, et elles ne tarissent pas d’éloges sur cette initiative architecturale. True Doors est une initiative qui ne guérit pas (hélas) ces maladies neurodégénératives mais influence le moral de ceux qui en souffrent, et c’est déjà positif même l’efficacité scientifique du relooking des portes est empirique et ne repose que sur des témoignages! Pas d’études en double aveugle et publiées dans une revue scientifique, mais c’est une jolie initiative qui fait du bien! Ce n’est déjà pas si mal.
Évidemment, faut-il préciser que les bienfaits de psychologie environnementale sur la psyché de nos aînés ne se résume pas à recréer avec un sticker la porte d’une ancienne maison. L’architecture environnementale s’avère prometteuse sur de nombreux plans.