
Texte de Christine O. Ce rapport m’a a été envoyé par un contributeur anonyme de France qui, pour des raisons qui deviendront claires au fur et à mesure que vous le lirez, souhaite rester anonyme.
Ce texte fait écho à mon billet de 2018 Autisme : la communication facilitée, une pseudo-science. La communication facilitée prétend offrir aux personnes autistes non verbales la possibilité d’exprimer leurs pensées, une affirmation au cœur d’un intense débat sceptique. En réalité, elle relève de la pensée magique: elle privilégie l’expérience émotionnelle et l’impression de dialogue sur les exigences de la preuve scientifique.
Christine O analyse un cas français emblématique, où le scepticisme a mis au jour ces dérives, et complète ainsi le regard critique déjà esquissé dans mon billet.
Pour que vous puissiez vous faire votre propre idée, voici le texte de Christine O, ici traduit en français (sa version originale est disponible à cette adresse: https://www.facilitatedcommunication.org/blog/when-telepathy-awakens-skepticism-a-french-case-of-fc).
Tout commence par l’histoire d’une autrice non verbale, diagnostiquée autiste très déficitaire dès son plus jeune âge. Lorsqu’elle a atteint l’âge de 14 ans, sa mère, qui n’avait pas remarqué beaucoup de progrès, a décidé de la sortir du cadre institutionnel dans lequel elle était placée. Les recherches de la mère l’avaient amenée à la conclusion que, pour réaliser quoi que ce soit, sa fille devait d’abord « se reconnecter à son corps ». C’est en prenant en charge sa fille qu’elle a découvert que celle-ci, bien qu’elle n’ait jamais appris à lire, qu’elle était capable de communiquer avec elle en épelant des phrases parfaitement construites. Ses compétences motrices limitées, cependant, ne lui permettraient pas d’écrire avec un stylo. Au lieu de cela, elle s’exprime avec des lettres en carton classées par ordre alphabétique, qu’elle pioche l’une après l’autre pour former des mots.
UNE DIFFUSION MÉDIATIQUE ET SCIENTIFIQUE
Au cours des quinze dernières années, la jeune femme a publié plusieurs ouvrages. Certains de ses textes ont été adaptés au théâtre, mis en musique par des chanteurs et des musiciens, lus à la radio nationale, etc.
En 2016, son histoire a fait l’objet d’un documentaire qui a été sélectionné dans des festivals (notamment aux césars) et diffusé à la télévision sur Arte. Elle participe également de manière régulière à une émission populaire mettant en scène des journalistes autistes qui interviewent des célébrités.
Le parcours de l’autrice a soulevé des questions sur notre perception et notre compréhension de l’autisme sévère. Elle a en outre collaboré avec un chercheur en sciences cognitives du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Récemment, elles ont donné ensemble une conférence sur l’autisme, l’hyperlexie et « l’expérience intime du langage ».
Lors d’une conférence, en présence d’un membre d’un parlementaire, l’autrice avait qualifié de façon cinglante ses années passées en Instituts Médicaux Éducatifs résidentiels et médicaux (IME) comme étant « un grand vide».

UNE RENCONTRE DÉROUTANTE
Personnellement, je me suis sentie très chanceuse d’avoir l’occasion de rencontrer la jeune femme, il y a quelques années. Sa mère m’a accueilli chez elle, et sans que j’aie eu besoin de poser une seule question, elle a commencé à me raconter leur histoire. Elle m’a d’abord décrit à quel point il était difficile d’établir le contact avec sa fille: des années passées comme devant un mur, sans pouvoir communiquer avec elle. Puis, quelques minutes après le début de notre conversation, elle mentionne en toute simplicité qu’elles communiquent entre elles par télépathie.
Remarquant mon air sceptique, elle m’a souri, mais par la suite, elle m’explique que sa fille n’apprend pas comme nous, les « neurotypiques », mais qu’au contraire, ellle un accès direct et illimité à la connaissance.
UNE CONVERSATION DÉCONCERTANTE:
Après cet échange troublant, j’ai été invitée à avoir une conversation avec la jeune femme.
Nous nous sommes installées toutes les trois dans une petite pièce, autour d’une table où se trouvait la boîte à lettres. Ce ne fut pas un véritable échange. La jeune femme s’est mise à choisir des lettres et à composer des phrases pendant de longues minutes, dans son style étrange et poétique.
À un certain moment, se rappelant la révélation télépathique faite plus tôt, la mère m’a glissé que sa fille avait « simplement changé d’avis » — comme si elle connaissait déjà les mots que sa fille allait former sur la table… Et, en effet, peu après, sa fille a mis les lettres pour cette phrase : « je te fais une télépathie. »
La mère m’a alors tendu un petit morceau de papier et un stylo. Elle m’explique que c’est un jeu auquel sa fille aime parfois se livrer. Je devais sortir de la pièce, écrire une courte phrase, puis ensuite l’appeler.
Je me suis exécutée, j’ai quitté la pièce et, une fois ma phrase écrite, j’ai appelé la mère. Elle m’a rejoint, a lu la phrase, a plié le papier et l’a glissé dans la poche arrière de son pantalon.
Nous avons rejoint sa fille et nous nous sommes installées comme précédemment. Sa mère en face d’elle, et moi sur le côté. À peine installée, la jeune femme a commencé à saisir les bonnes lettres, l’une après l’autre. Pendant quelques secondes, je me suis senti déstabilisée et ma vision s’est même brouillée. Je leur ai assuré que tout allait bien et qu’il n’était pas nécessaire d’épeler la phrase en entier, mais la mère a insisté : « Quand nous faisons cela, elle aime poser toutes les lettres. »

UN RÉVEIL SCEPTIQUE
Cette rencontre m’a laissée extrêmement perplexe. Le lendemain, après une nuit très courte, j’ai appelé des amis pour leur raconter cette expérience de télépathie à laquelle j’avais participé.
En détaillant le déroulement des faits, j’ai réalisé que je ne parvenais pas à m’en convaincre totalement moi-même. Un ami m’a alors aidé à prendre conscience que quelque chose m’avait forcément échappé.
Comme beaucoup de personnes familières avec l’histoire de cette autrice non verbale, j’ai d’abord eu des doutes… mais la multitude d’articles et les collaborations avec des institutions institutionnelles notamment le CNRS, les avaient balayés.
L’histoire était touchante, positive et semblait mériter d’être relayée, afin d’ébranler les préjugés et d’attirer l’attention sur les personnes vulnérables. Malgré la conclusion décevante à laquelle cela pouvait mener, j’ai décidé de chercher en ligne des vidéos montrant la mère et la fille en train d’écrire.
J’ai été très surprise de constater que, dans toutes ces vidéos, la mère effectuait de nombreux mouvements. Dans mes souvenirs, je l’avais imaginée complètement immobile. Mon attention avait dû être captée par l’agencement des lettres, et le contexte m’avait échappé.
J’ai alors commencé à remarquer des gestes étranges de la mère… jusqu’à ce que, finalement, après avoir revu ces mêmes vidéos encore et encore, l’évidence me frappe: c’était presque comme si la main de la fille était reliée à celle de sa mère par un fil invisible.
Quant aux mouvements incongrus, ils se produisaient précisément au moment où la fille s’apprêtait à prendre la mauvaise lettre.
À cet instant, le scénario m’a semblé presque aussi incroyable que l’histoire initiale… la télépathie mise à part, évidemment.
Qui pourrait avoir une telle idée ? Combien d’heures d’entraînement ont été nécessaires pour parvenir à un tel résultat ? La mère en était-elle désormais convaincue elle-même ?
UNE TECHNIQUE DISCRÉDITÉE CONNUE SOUS LE NOM DE COMMUNICATION FACILITÉE
Avec autant de questions en tête, j’ai supposé que d’autres personnes avaient dû remarquer l’influence de la mère. J’ai fini par trouver une critique négative de leur documentaire le qualifiant de « supercherie».
Cet article mentionnait une technique sujette à caution qui m’était inconnue: la communication facilitée (CF). J’ai trouvé par la suite deux autres commentaires faisant le lien entre cette histoire et la CF, l’un en réponse à une publication sur Facebook d’un centre de ressources sur l’autisme, l’autre sur une page de forum intitulée « cherche cas d’autistes non verbaux qui peuvent écrire. »
Le phénomène étant beaucoup plus répandu aux États-Unis, mes recherches m’ont rapidement mené à facilitatedcommunication.org. J’ai regardé le documentaire PBS « Prisoners of Silence » et j’ai finalement découvert la réponse idéomotrice, ce qui m’a aidé à comprendre comment les facilitateurs peuvent, eux aussi, être victimes de ce système de croyance.
En ce qui concerne cette impression de télépathie décrite par les facilitateurs, une fois que l’on a entendu parler du phénomène de la FC, une explication logique et moins magique apparaît : les facilitateurs sont convaincus de ne pas être les auteurs des messages mais ils peuvent se rendre compte qu’ils connaissent les mots avant d’être épelés par les individus non verbaux, les facilitateurs concluent que les individus non verbaux qu’ils facilitent sont télépathiques.

La FC a été introduite en France en 1993 par l’orthophoniste Anne Marguerite Vexiau après une formation d’un mois à la FC en Australie. En 1995, elle a fondé « Ta Main Pour Parler », une association qui vise à diffuser le FC en France. En 1998, elle a pris une tournure plus ésotérique en étendant l’utilisation de la FC aux personnes sans problème de neurodéveloppement ou trouble de la parole. Elle lui a donné un nouveau nom : « Psychophanie« . Selon Vexiau, la FC pourrait permettre d’exprimer l’inconscient et les émotions les plus profondes de chacun. Tout comme avec la FC régulier, la facilitation peut entraîner des messages poétiques ou même spirituels, mais dans le cas de personnes sans trouble cognitif, elle est également présentée comme thérapeutique, aidant à libérer des traumatismes prétendument réprimés… ce qui revient essentiellement à induire de faux souvenirs. En 2002, Vexiau a fondé une « école de communication facilitée et de psychophanie » pour former à la fois les professionnels et les parents à devenir des facilitateurs , et ces sessions ont encore lieu régulièrement à ce jour.

NOUVEAUX NOMS ET NOUVELLES FORMES DE FC
Plus récemment, la communication facilitée (FC) est apparue sous de nouveaux noms, par exemple CPA pour Communication Profonde Accompagnée, développée par Martine Garcin‑Fradet, et EP pour Écoute Profonde de Marie Vialard Hauser. La méthode reste identique: une facilitation physique au‑dessus d’un clavier, destinée aux personnes non verbales, mais aussi aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, à celles dans le coma ou en fin de vie, ainsi qu’aux bébés et jeunes enfants.
La filiation avec la FC originale n’est pas cachée; ces nouvelles appellations correspondent surtout à des rebrandings à visée commerciale. Garcin‑Fradet et Hauser organisent par ailleurs des séances de formation régulières pour facilitateurs.
En ce qui concerne les nouvelles formes de FC sans contact physique, je n’ai pu trouver que quelques exemples. L’un d’eux concerne une association qui fait fortement pression pour les droits des personnes autistes, et qui a déjà invité Elizabeth Vosseler à présenter S2C. Cette association préconise un changement dans la perception de l’autisme non verbal et souhaite que la société “présume la compétence” des personnes avec autisme profond — un recadrage de l’autisme profond tel qu’il a été promu par les défenseurs de la FC depuis plus de 30 ans.
l’un des membres de cette association est un jeune homme autiste non verbal , facilité à la fois par sa mère, qui utilise un tableau de lettres, et par un facilitateur, qui l’accompagne lorsqu’il tape sur un iPad. Il étudie (avec son animateur) à la faculté de sociologie de Rennes et est membre du Réseau européen sur la vie indépendante (ENIL).
Il a été invité à discuter de la neurodiversité et du mouvement des droits de l’autisme à l’INSEI, une institution française spécialisée dans la recherche sur l’nclusion scolaire. Il a récemment rejoint le Conseil consultatif de la jeunesse des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’éducation (EAA). Ses expériences personnelles ont donné lieu à un article complet sur le site des Nations Unies.
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