POURQUOI FAUT-IL LIRE ÉLOGE DE LA LUCIDITÉ?

Sommes nous capables face à cette injonction du bonheur à tout prix de détecter ces illusions, ces faux bonheurs pour faire place nette à de vrais bonheurs où la lucidité est présente?

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Le bonheur est le Graal moderne de la psyché. Sa quête est devenue l’injonction sociétale des temps modernes. Depuis l’Antiquité, les philosophes ont proposé leur conception du bonheur. Comme Épicure qui avait remarqué la propension des hommes à se précipiter vers des choses qui ne les satisfont pas. Et le bonheur, si je veux, ce n’est pas si simple! 

Si le bonheur est  une belle idée, il est aujourd’hui  « étouffé sous un poids croissant d’illusions mensongères et convaincant qu’il importe de dénoncer» comme l’a justement écrit le psychiatre Christophe André. Être heureux à tout prix peut justement avoir l’effet inverse, engendrer des frustrations et faire de nous des éternels insatisfaits. Sommes nous capables face à cette injonction du bonheur à tout prix de détecter ces illusions, ces faux bonheurs pour faire place nette à de vrais bonheurs où la lucidité est présente?

La lucidité est le fonctionnement normal des facultés intellectuelles qui met en oeuvre la raison, s’opposant à la pensée irrationnelle que l’on trouve souvent dans le dévoiement du développement personnel qui fait miroiter le bonheur à portée de main. Dans son livre « Eloge de la lucidité », Kilios Kotsou nous livre quelques clefs  pour débusquer cette quête pathologique du bonheur avec un B majuscule! Loin d’être un livre  de développement personnel voire de pensée positive, cet ouvrage repose sur les données issues de la psychologie positive, un courant de recherche  qui est l’étude des forces du fonctionnement optimal et des déterminants du bien-être (ce qu’on appelle communément la science du bonheur) qui font l’objet d’une littérature scientifique.

Kilios Kotsou est docteur en psychologie, et chercheur au sein  de la chaire mindfullness, bien-être au travail et paix économique de Grenoble École de management. Sa démarche se centre plus précisément sur l’intelligence émotionnelle. Il est l’auteur de plusieurs articles scientifiques parues dans des revues d’excellente qualité dont le PloS one (2016) ou Psychiatry Research (2013).  Son livre « Eloge de la lucidité » a remporté le Prix Psychologies-Fnac 2015.

Ce que Ilios Kotsou propose à ses lecteurs dans Éloge de la lucidité,  c’est de se libérer des illusions qui empêchent d’être heureux. Comme le souligne Christophe André, chef de file de la psychologie positive en France, dans la préface, « pour accéder au bonheur, il faut accepter adversité, souffrance, imperfection ; bref, accepter, tout entière, la réalité de ce monde.»

Dans son introduction, Ilios Kotsou propose deux définitions scientifiques du bonheur: la première est la conception hédonique du bonheur (plaisir ou émotions positives, et absence de douleurs ou d’émotions négatives). Et la deuxième est la conception eudoménique du bonheur (en référence au sentiment de notre vie indépendamment des évènements déplaisants ou de l’inconfort) .

L’auteur de l’Éloge de la lucidité n’hésite pas à démonter les mécanismes  des livres de développement personnel qui promettent le bonheur. Notamment, le livre de Wayne Dyer Le Pouvoir de l’intention, Réalisez tous vos désirs en vous connectant à l’intelligence universelle » dont le présupposé idéologique est le suivant: « quand nous sommes connectés à l’intention, une harmonie règne en nous et autour de nous; on se sent inspiré et heureux, nos projets se réalisent, les relations deviennent sereines, les évènements agissent en notre faveur.» Un autre ouvrage auquel s’attaque Ilios Kotsou est celui de Joe Vitale « Zéro Limite », le programme secret » hawaien pour l’abondance, la santé, la paix et plus encore » qui expose une méthode où les désirs se réalisent et transforment la vie professionnelle, amoureuse et personnelle. Ces deux livres qu’il critique vivement sont en fait des recettes de pensée magique. Aucun fondement scientifique sur ces deux bouquins de développement personnel. Selon Ilios Kotsou,  ces livres sont les exemples type des mirages du bonheur vendus comme des « évidences », et il propose des  alternatives susceptibles  pour s’en sortir. D’abord il y a le piège de l’idéalisation autour de l’idée même de bonheur. On vend le bonheur à travers le marketing sans souffrances. Le bonheur est valorisé à l’extrême sous sa facette hédonique, en mettant l’accent sur l’épanouissement individuel, l’atteinte du plaisir et l’évitement de la douleur. Ilios Kotsou note que la recherche effrénée du bonheur peut mener à l’individualisme et à l’isolement,  ce qui est paradoxal car le contraire du but recherché.

Lutter contre les dangers pour échapper à l’inconfort psychologique (émotions négatives, insatisfaction, frustration, anxiété, tristesse) par l’évitement émotionnel peut engendrer le paradoxe des dépendances. Nous avons tous nos stratégies d’évitement qui à court terme ne sont pas nuisibles mais à long terme peuvent augmenter notre mal-être. Ilios Kotsou fait bien le distinguo entre la pensée positive présentée dans les livres de développement personnel et la psychologie positive. Si l’on en croit les gourous de la pensée positive, notre vie serait le reflet de nos pensées, et qu’il est possible de les contrôler pour atteindre le bien-être. Daniel Wegner, psychologue à Harvard  a testé ce qui se  passe quand nous essayons de contrôler nos pensées. La tentative de supprimer une pensée conduit à une intensification subséquente de celle-ci par un effet « rebond ».

C’est comme pour les obsessions! Essayer de les supprimer par la pensée positive est inefficace. Si c’était le cas, elle guérirait les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs qui se caractérisent justement par des pensées intrusives répétées et anxiogènes. Et sans parler du «retour de flammes» de l’auto suggestion positive au cœur des best-sellers de pensée positive. Cette technique est fondée sur a répétition d’un mantra comme par exemple « Je suis forte et puissante, et rien dans le monde ne peut m’arrêter.

Le professeur en psychologie Joanne Wood de l’université de Kent a constaté que ceux qui avaient une faible estime d’eux-mêmes se sentaient encore plus mal après de l’autosuggestion positive. Er ceux qui ont déjà une forte estime d’eux-mêmes, et bien c’est le jeu des sommes nulles mis en évidence par  Paul Watzlawick. C’est à dire que ça ne sert à rien chez eux.

Et présupposer que la pensée positive peut tout résoudre avec un programme de rééducation de la pensée » peut entraîner un fort sentiment de culpabilité comme effet secondaire négatif. Et cela peut s’avérer dangereuse pour des personnes souffrant de maladies graves (comme le cancer entre autre).  La pensée positive n’est ni plus ni moins que de la pensée magique.

Il y a également le  fameux mythe de l’estime de soi développé par des chantres  de la pensée positive à l’instar de Norman Vincent Peale, Nathaniel Branden.  Ce dernier fait un lien douteux entre faible estime de soi et violence. L’estime de soi n’a jamais favorisé des résultats professionnels, et elle ne prédit pas la qualité ni la durée des relations.  Et la poursuite de soi est au centre du fonctionnement des personnalités narcissiques. La quête de l’estime de soi peut se révéler un facteur de stress et d’anxiété, facteur de vulnérabilité, etc. Ilios Kitsou s’appuie sur les travaux de Léon Festinger su la dissonance cognitive. Alors pour emprunter les chemins de la lucidité, que faut-il faire suivant la psychologie positive?

D’abord se chouchouter psychologiquement. Se montrer tolérant sur son mal-être psychologique. En psychologie la tolérance est en psychologie clinique appelée « l’acceptation » qui est le consentement à rester en contact avec ses expériences intérieures désagréables (émotions, sensations). Mise en évidence scientifiquement, l’acceptation a un effet protecteur sur les aléas de la vie.
Si l’on prend conscience de ses émotions négatives, de son mal-être intérieur et en étant tolérant envers ses failles psychologiques,  cesser de lutter contre ces émotions désagréables, c’est les transformer en désespoir créatif.
« Tolérer nos inconforts et nos états d’âme désagréables nous permet de dégager un espace d’ouverture : au lieu de réagir automatiquement à nos expériences, il nous est proposé de les observer pour ensuite tenter de choisir le comportement le plus adapté à la situation.»

Le monde n’existe pas uniquement à travers nos pensées, et il faut faire la différence entre le monde réel et celui de nos pensées. Il faut apprendre à se montrer plus d’indulgence envers soi. Le professeur de psychologie clinique Paul Gilbert la mis au point une thérapie de groupe dénommée « formation à la compassion,» pour aider justement à acquérir à développer ces qualités de compassion envers elles-mêmes, surtout si elles sont enclines à s’en vouloir lors de contextes difficiles. Il faut aussi apprendre à détecter les croyances relatives à notre identité, sans se demander si elles sont vraies ou fausses mais simplement savoir se détacher de ces pensées qui influencent notre comportement. On peut aussi observer son expérience en restant en contact avec le moment présent en pratiquant une technique comme le Mindfullness, une forme de méditation qui se propage actuellement (en prenant soin de trouver un praticien compétent et et formé avec un pré requis scientifique universitaire).

Acquérir cette forme de lucidité pointée par Ilios Kotsou permet la prise de conscience que notre vie comportera, un jour ou l’autre sa part d’inconfort ; sans céder toutefois à des peurs irrationnelles en craignant que que l’épée de Damoclès s’abattra sur vous…
« La lucidité est une clef pour comprendre que le résultat de nos actions ne dépend pas uniquement de nous…par la conscience que les douleurs sont indissociables du fait même d’être en vie, la lucidité nous conduit à vivre en prenant des risques : celui d’aimer, de s’engager, de s’échouer .»(Ilios Koutso)

Voilà juste les grandes lignes de cet ouvrage, et j’espère que ce post vous donnera envie de lire « Éloge de la lucidité », et  à défaut exercer votre esprit critique sur les tartes à la crème du développement personnel.

Vidéo d’une conférence de Ilios Koutso sur l’intelligence émotionnelle.

Auteur : Nicole Bétrencourt

Psychologue clinicienne, psychosociologue

Une réflexion sur « POURQUOI FAUT-IL LIRE ÉLOGE DE LA LUCIDITÉ? »

  1. A reblogué ceci sur Stéphanie Maindive Sophrologueet a ajouté:
    Un article passionnant et un livre qui promet de l’être tout autant. A chacun son bonheur, avec lucidité !
    « La lucidité est une clef pour comprendre que le résultat de nos actions ne dépend pas uniquement de nous…par la conscience que les douleurs sont indissociables du fait même d’être en vie, la lucidité nous conduit à vivre en prenant des risques : celui d’aimer, de s’engager, de s’échouer .»(Ilios Koutso)

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