
Ma curiosité a été piquée par la diffusion, au 20H de TF1, d’un reportage sur un casque de réalité virtuelle réservé aux auteurs de violences conjugales. Pourquoi pas? Après tout, la réalité virtuelle fait partie de l’arsenal des thérapies modernes. Elle consiste en l’utilisation de plates immersives comme des visio-casques et autres supports high-tech permettant de créer des environnements virtuels créés par ordinateur pour « traiter des individus souffrant de troubles physiques et mentaux. Par exemple, les troubles anxieux. Donc cette annonce sur un casque de réalité virtuelle pour les auteurs de violences conjugales n’a rien d’étonnant et pourrait s’avérer un dispositif prometteur.
Il sera mis en place à partir du mois d’octobre. Son objectif est de limiter la récidive et sera testé sur une trentaine d’auteurs condamnés pour violences conjugales, suivis en milieu ouvert et sur la base du volontariat. Six détenus à Villepinte, dix à Lyon et 12 à Meaux. C’est la chancellerie qui a sélectionné les profils à risque de récidive. Par contre, sont exclus de l’expérimentation les détenus consommant des médicaments trop fort (je n’ai trouvé aucune précision à ce sujet), ceux alcooliques ou présentant des troubles psychiatriques sévères.
Le matériel virtuel a été mis au point par la jeune start-up lyonnaise Reverto qui veut lutter contre les discriminations et les risques psychosociaux. Le sexisme ordinaire. Cette start-up a reçu le prix de l’innovation Preventica. Bravo pour l’esprit d’entrepreneuriat mais voyons quels sont les points forts et ceux qui sont faibles dans cette prise en charge des violences conjugales.
Cette réalité virtuelle dite immersive (VR) induit des illusions perceptives de propriété de tout de tout le corps même si le corps virtuel ne correspond pas au genre, morphologie du participant. Avec cette réalité immersive, autrui devient « JE ».
Quel est le protocole de l’usage de ce casque virtuel supposé diminuer les récidives? Pendant une dizaine de minutes, avec son casque, le spectateur se retrouve immergé dans l’environnement d’un couple qu’il voit évoluer sur plusieurs années: l’attente du premier enfant, un diner ordinaire, un repas entre amis. Lors des sept séquences, la violence s’installe en crescendo. Tous les aspects de la mécanique des violences conjugales sont décortiqués: violence verbale puis physique, isolement, emprise mentale, etc.
Dans cette réalité virtuelle, le spectateur est invité à se mettre tour à tout dans la peau du conjoint violent, de la compagne et de l’enfant. Le but serait chez l’auteur des violences conjugales de susciter de l’empathie et une prise de conscience envers la compagne et l’enfant. Le principe de « cette réalité virtuelle qui ne se présente pas comme une thérapie »(du moins en France) repose sur le pouvoir de l’empathie et du vécu émotionnel. « Notre but n’est pas de traumatiser les gens, mais de provoquer une prise de conscience, explique Guillaume Clere, le concepteur de ce projet. Nous parions sur le ressenti. Nous pensons que la prochaine fois que la personne sera confrontée à une situation de harcèlement sexiste, le vécu émotionnel va remonter. Elle va se souvenir de ce qu’elle a vécu virtuellement et sera donc en état de mieux comprendre ce que les autres vivent réellement ».
Ce type de dispositif VR a déjà été testé à la prison de Tarragone en Espagne sous le label de VRespect de la société Virtual Bodyworks. Son directeur médical, Mavi Sanchèz, spécialiste en neurosciences, explique que les..« interventions renforcent les fondements de l’empathie comme l’amélioration de la capacité de l’agresseur à reconnaitre les émotions de sa victimes.» Et le réalisateur technique de Virtual Bodyworks s’est inspiré du jeu et des techniques hollywoodiennes.
Sur ce dispositif catalan, une étude intitulée « Les délinquants se mettent à la place de la victime dans la réalité virtuelle: impact du changement de perspective dans la violence domestique a été publiée dans la revue Nature en février 2018.
Cette étude (incluant une approche bayesienne) permet de reproduire sans danger pour le participant et dans le respect des règles de l’éthique la fameuse étude sur l’obéissance de Stanley Milgram. Il a été démontré que les auteurs de violence domestique présentent des stéréotypes et des distorsions cognitives concernant les femmes.
Comment s’est déroulée cette expérience espagnole ? Un groupe d’auteurs de violence domestique (N= 20) et un autre témoin sans antécédents de violence (N=19) ont assisté au même film virtuel. Les facultés de reconnaissance des émotions des participants ont été évaluées avant et après l’expérience virtuelle. Les résultats ont démontré que les délinquants peinaient à reconnaitre la peur sur les visages féminins et que les visages craintifs pouvaient être perçus comme des signes de contentement.
Le déficit de reconnaissance de la peur constatée dans le groupe des délinquants est conforme à plusieurs études qui ont montré une telle carence dans des états émotionnels négatifs dans des populations violentes. Il faut aussi rajouter que cette faible capacité à reconnaitre la peur englobe d’autres compétences sociales. Certaines régions du cerveau telles que l’amygdale pourraient être concernées.
Les auteurs de l’étude soulignent les limites de cette technologie virtuelle. Elles sont explicites dans leur message en fournissant des informations verbales plutôt qu’une expérience réelle et pourrait donc être moins performante si le délinquant a une faible capacité d’imagination ou est faiblement motivé. Et peut-être aussi dans le cas de certains détenus qui peuvent simuler l’empathie, les émotions sans véritable prise de conscience de cette violence qu’ils ont exercé envers leur compagne.
Quels sont les résultats de cette expérimentation espagnole? Sur les 184 auteurs de violences conjugales qui ont suivi pendant quatre ans ce programme, 22% ont chuté au cours de la phase virtuelle contre 6% qui ont suivi une rééducation classique. C’est incontestablement prometteur.
À côté de cela, les auteurs de l’étude publiée dans Nature ont cerné les limites de cette immersion en réalité virtuelle, et ils notent que des recherches futures devraient porter sur d’autres variables dont les traits de personnalité, la psychopathologie et la contagion émotionnelle.
L’utilisation de la VR est moins connue dans le contexte de la criminologie et de la psychologie légale, et sur ce point l’expérimentation française inspirée par l’expérience espagnole est à suivre avec grand intérêt. Il faut noter que ce type de technique a été utilisé avec des pédophiles. Jusqu’à ce jour, on connait surtout la VR dans le traitement des phobies, notamment au Canada.
Les études utilisant la RV dans un but psychothérapique s’appuient largement des postulats théoriques et méthodologiques des thérapies comportementales et cognitives (TCC). Elles sont basées succinctement résumé sur le conditionnement classique, le conditionnement opérant et conditionnement social avec comme noyau central des stratégies d’exposition, du moins dans les troubles anxieux.
Alors pourquoi pas la réalité virtuelle pour les auteurs de violence domestique? Mais on regrette que les médias n’aient pas interviewé pour l’instant les scientifiques du projet français. Certes, le garde des sceaux et le fondateur de la start-up Reverto Guillaume Clere, journaliste et réalisateur talentueux, ont présenté à grand renfort de tambours cette approche inédite, et elle est à suivre de très près. Mais j’aimerais également connaitre sur ce sujet le sentiment des médecins, psychiatres et psychologues qui ont charge les victimes de violence domestique, et qui ont l’occasion de rencontrer leurs agresseurs.
Vidéo sur la thérapie virtuelle