UNE PLANÈTE MAL DANS SA TÊTE, POURQUOI?

La santé mentale n’est pas comme on pourrait le supposer liée au bonheur ou à être satisfait de sa vie mais est plutôt un état dans lequel un individu réalise ses talents, arrive à faire face au stress normal de toute vie, travaille de manière acceptable et est intégré à sa communauté.

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Publié récemment dans la rubrique santé du journal Le Point un ensemble de graphiques hétéroclites qui concernent la santé mentale de la population mondiale (ou leur moral) intitulé « Une planète mal dans sa tête »a attiré mon attention .

La méthodologie de ces graphiques mérite d’être exposée. Elle a été mise au point par une équipe américaine de Sapien Labs, une organisation à but non lucratif ayant pour vocation de comprendre l’impact et les conséquences cognitives de l’évolution de notre environnement et de la technologie à l’échelle mondiale. Leur recherche s’appuie sur des données scientifiques solides qui figurent sur leur site; la « physiologie du cerveau » est étudiée à partir d’outils aux fins de compréhension du signal cérébral lié aux résultats de santé cognitive et mentale: EEG, technologie de neuroimagerie non invasive permettant ainsi l’analyse de la santé mentale à partir de modèles bayesiens.

Effectif depuis trois ans, l’équipe interdisciplinaire de Sapien Lab a mis au point une échelle d’évaluation de la santé mentale, le MHQ pour établir ce rapport sur la santé mondiale en 21. 223 000 personnes réparties dans 33 pays ont participé à cette enquête. Le MHQ est un nouvel outil d’évaaluation en ligne que l’on trouve sur le site de Sapien Labs conçu pour la population générale. Le MHQ couvre l’ensemble des symptômes cliniques de santé mentale mais aussi les points pour un fonctionnement mental optimum. Des éléments de résilience en quelque sorte.

L’esprit de cet outil a été conçu pour ne pas se focaliser uniquement sur les troubles et dysfonctionnements de la psyché; ce qui est reproché aux outils d’évaluation de santé mentale qui ne voit que l’aspect clinique des troubles de la psyché sans perspective d’évolution dans le temps possible s’il y a eu prise en charge efficace.

L’activité cérébrale est diversifiée et que contrairement à d’autres organes, le cerveau se recâble tout au long de la vie en réponse à des expériences sensorielles-le parcours de vie-générant ainsi des comportements différents suivant les âges.

Pour Labo Labs, la recherche actuelle ne représente pas la majorité des populations mondiales notamment les ethnies car les recherches sur le cerveau sont menées essentiellement aux États-Unis et en Europe. Les déterminants sociaux et environnementaux ne sont pas pris en compte.

Le MHQ a été développé sur la base du codage informatique de symptômes évalués dans 126 outils d’évaluation psychiatrique actuels basés sur le DSM ainsi que des sur des critères neuroscientifiques des dernières avancées scientifiques. Les données ont été recueillies auprès de 1665 adultes ayant testé cet outil.

Le MHQ fournit un moyen rapide, simple et complet d’évaluer la santé mentale et le bien-être de la population ; identifier les individus et les sous-groupes à risque ; et fournir des informations pertinentes pour le diagnostic sur 10 troubles.

Pour en savoir plus sur la mise au point du MHQ, un article pointu a été publié sur le site Pubmed de Jennifer Jane Newson et Tara C Thiagarajan, chercheurs à Sapien Labs.

Le MHQ prend en compte ces critères que l’on trouve sur le site de Sapien Labs:

L’échelle MHQ se présente sous ce graphique que l’on trouve traduit de l’anglais par le journal Le Point

(MHQ, Le Point)

Dans les pays anglo-saxons, le moral baisse depuis 2020 de 3%. Ce sont les pays européens notamment les pays francophones avec l’Amérique latine qui s’en sortent le mieux. Le rapport constate que le moral des jeunes est en baisse depuis 2019 par à rapport aux personnes de plus de 65 ans, et présenteraitun fort risque de suicide. Pas de grande surprise quand le MHQ accent est mis sur la qualité du sommeil: 82 points de différence entre ceux qui dorment bien et ceux qui dorment mal, la qualité des relations familiales et également l’exercice physque pratiqué au moins vingt minutes par jour. Il y a manifestement un impact sur le moral avec les trois facteurs que sont le sommeil, les relations familiales et sociales et l’exercice physique.

Ce n’est guère une surprise, la pandémie a eu un impact sur le moral pour 57 % des gens en impactant leur santé mentale avec les confinements et l’isolement social avec aussi des conséquences financières.

La santé mentale n’est pas comme on pourrait le supposer liée au bonheur ou à être satisfait de sa vie mais est plutôt un état dans lequel un individu réalise ses talents, arrive à faire face au stress normal de toute vie, travaille de manière acceptable et est intégré à sa communauté.

Un graphique sur la santé mentale suivant les pays est intéressant même si l’on peut reprocher que la santé mentale soit réduite à quelques critéres qui peuvent sembler figés. Mais ramené ainsi c’est plus détaillé que des généralités subjectives.

Et ce graphique est à corréler avec les risques des troubles de la psyché sont évalués également en fonction des pays et nécéssitant une prise en charge médico-psychologique et psychiatrique.

Graphique extrait du site Sapien Labs

Ce rapport est très détaillé et je n’en ai extrait que quelques éléments que j’ai estimé pertinents. En dehors du rapport, pour qui le souhaite, il est possible d’auto évaluer son MHQ. Je suis toujours très sceptique avec ce type de questionnaire qui ne remplace en rien une consultation avec un psy en chair et en os. Je m’y suis prêtée et force est de constater qu’il note des points positifs de la personnalité. Et après tout, s’il permet de dédramatiser des problèmes handicapants de la psyché en donnant envie d’aller consulter un professionnel, pourquoi pas? L’une des qualités de ce site, il est assez élaboré sur le plan scientifique et ne rentre pas déjà dans la catégorie du charlatanisme. Un bon point!

L’IMPACT DE LA PANDÉMIE SUR LE CERVEAU DES ENFANTS.

En portant un masque, les enfants « compensent les déficits d’information plus facilement que nous ne le pensons » explique Leher Singh, psychologue à l’Université nationale de Singapour.

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Un récent article dans la revue Nature, écrit par la rédactrice scientifique Melinda Wenner Moyer, évoque l’impact psychologique de la pandémie chez les enfants. Les lecteurs sont libres de ne pas être d’accord sur son contenu mais cet éclairage est intéressant. Voici les points forts de cet article avec quelques libertés d’écriture personnelles.

La pédiatre Dani Dumitrieu (que vous pouvez suivre sur Twitter) et son équipe du New-York Presbyterian Morgan Stanley Children’s Hopital (NYC) appréhendaient les effets délétères du Covid-19 chez les nouveaux-nés de son hôpital comme cela avait pu se produire avec le virus du Zika. Comme les autres médecins, elle recherchait les éventuelles malformations dues au virus. Avant la pandémie, le Dr D.Dumitrieu analysait la communication et les capacités motrices des bébés jusqu’à l’âge de 6 mois. Avec l’aide de sa collègue Morgan Firestein, elle a comparé ces données pour les bébés nés avant et après la pandémie pour savoir s’il existait des différences de développement neurologique entre les deux groupes.

M.Firestein a vite constaté que l’effet de la pandémie était important. Les bébés nés après la pandémie avaient des scores inférieurs aux test de motricité globale et de communication à ceux nés avant. Les parents avaient évalué leur enfant à l’aide d’un questionnaire pré-établi. Il se passait manifestement un effet délétère indépendant du fait que les parents aient été infectés ou non par le virus.

Les deux chercheuses étaient aux quatre cent coups car il s’agissait de millions de bébés qui pouvaient être éventuellement concernés. Si les bébés infectés par le virus se portent généralement bien, des recherches suggéraient que le stress lié à la pandémie pendant la pandémie pouvait impacter le développement du cerveau foetal chez certains enfants. De plus les adultes épuisés et stressés en charge des enfants pouvaient moins interagir avec ces nourrissons affectant ainsi leurs capacités physiques et cognitives décisives dès le plus jeune âge.

Les contraintes sanitaires ont isolé de nombreux jeunes parents, limitant les interactions sociales avec leurs bébés, et du fait qu’ils jouaient moins avec eux. De même, les soignants stressés et surchargés de travail n’ont pas pu consacrer le temps qu’ils auraient voulu à chaque nourrisson et tout-petit, pourtant indispensable à son équilibre psychologique.

Certaines équipes commencent à publier leurs conclusions, souvent sans réponses ferme. Certains bébés nés ces deux dernières années pourraient avoir des retards de développement tandis que d’autres, non. Tout dépend des occasions plus ou moins grandes d’interactions sociales, et les disparités sociales et économiques ont joué un rôle. Les premières données suggèrent déjà que que l’utilisation du masque n’a pas affecté le développement émotionnel de l’enfant. Par contre, on sait que le stress pré-natal peut contribuer à modifier la connectivité cérébrale. Mais il n’y a aucune certitude car il reste de nombreuses études à évaluer par les pairs, et la pandémie est loin d’être terminée malgré la vaccination des adultes et des enfants disparate suivant les pays.

Selon certains chercheurs, ce retard de développement constaté serait transitoire. Comme le déclare Moriah Thomason, psychologue pour enfants et adolescents à la Grossman School of Medicine de l’Université de New York, « je ne m’attends pas à ce que nous découvrions qu’il y ait une génération d’enfants affectée par cette pandémie.»

Le laboratoire d’imagerie avancée pour bébés de l’Université de Brown à Providence (Rhone Island) s’est penché sur les facteurs environnementaux pouvant façonner le développement du cerveau chez les nourrissons. Durant la pandémie, San Deoni, biophysicien et ses collègues ont eu la chance de continuer à suivre les compétences motrices, visuelles et linguistiques de bébés dans le cadre de leur recherche prévue sur sept ans sur le développement de la petite enfance et ses effets sur la santé ultérieure. Elle et ses collègues constatent qu’il fallait plus de temps aux enfants pour passer ces évaluations. Ils étaient manifestement plus lents.

San Deoni a demandé à ses chercheurs de comparer les moyennes annuelles des scores de développement neurologique des bébés à l’aide d’une batterie de tests similaire au QI. Les enfants nés lors de la la pandémie ont obtenu deux écarts-types inférieurs par à rapport à ceux nés avant. Dans des familles à faible revenu, plus chez les garçons que les filles, et touchait principalement la motricité.

Face à ces résultats, des chercheurs affirmèrent que ces scores n’étaient pas nécessairement prédictifs au long cours. Marion van den Hevel, neuropsychologue de l’Université de Tilbourg (Pays Bas) déclara que le « QI d’un bébé ne prédisait pas grand chose». Elle s’appuie sur une étude concernant les filles élevées dans un orphelinat roumain, et qui ensuite adoptées avant l’âge de deux ans et demie étaient moins susceptibles à l’âge de quatre ans et demie de présenter des troubles psychiatrique que celles restées dans l’orphelinat. Suggérant ainsi que lors de la levée des restrictions sanitaires, il en sera de même pour les enfants nés lors de la pandémie.

Dan Deoni continue sur sa lancée en affirmant que plus la pandémie se poursuit, plus les déficits cognitifs s’accumulent. Les recherches de D.Deoni ont eu une forte couverture médiatique suscitant des critiques de la part de ses confrères. D.Deoni pense que ces déficits cognitifs proviennent d’un manque d’interactions humaines. Les échanges verbaux entre les parents et leur enfant et vice-versa au cours des deux dernières années ont été moindre par rapport aux années précédentes. Les enfants pratiquent moins la motricité globale car ils ne jouent pas régulièrement avec d’autres enfants et ne fréquentent plus les jardins d’enfant.

Dans cette veine, des chercheurs anglais ont constaté que les compétences des enfants étaient plus fortes s’ils avaient fréquenté régulièrement une garderie ou une école maternelle. Les enfants à risque sont ceux de familles défavorisées et issus de minorités ethniques. Un nombre croissant de chercheurs ont suggéré que chez les enfants scolarisés, l’enseignement en distanciel pouvait creuser un écart entre des enfants nés dans foyer aisés et les autres nés dans des foyers défavorisés. Au Pays-Bas, il semblerait que les enfants obtiennent de moins bons résultats aux évaluations nationales en 2020 par rapport aux trois années pécédentes, et que les déficits d’apprentissage étaient de l’ordre de 60% pour les enfants de milieux moins favorisés.

En Éthiopie, au Kenya, au Liberia, en Tanzanie et en Ouganda, les enfants auraient perdu une année de scolarisation. Aux USA, après le premier confinement, les enfants de minorités ethniques auraient trois à cinq mois retard d’apprentissage par rapport aux autres.

Où en est-on avec le port du masque chez l’enfant qui fait débat en France dans les médias mainstream et sur les plateaux TV? Ce qui est écrit dans l’article de Nature est sujet à réflexion!

Le masque qui occulte une partie du visage pour exprimer les émotions et la parole, est-il susceptible d’affecter l’apprentissage émotionnel et linguistique des enfants?

Ô surprise, les enfants en contact avec d’autres enfants ont pu interagir avec un masque!

Edward Tronick, célèbre pour son expérience en 1975 du paradigme du visage impassible (Still face experiment) s’y est collé et a voulu savoir si les résultats de son expérimentation s’appliquaient au port du masque. Avec sa collègue, Nancy Snidman, il a demandé à des parents de filmer avec un smartphone leurs interactions avec leurs enfants avant, pendant et après avoir mis un masque. Les enfants remarquaient bien que leurs parents portaient un masque, et même s’ils changaient d’expression faciale, ils continuaient néanmoins à interagir avec leurs parents comme si de rien n’était. Selon E.Tronick, le masque ne bloquerait qu’un seul vecteur de communication.

Il semblerait que les masques n’interfèrent pas avec la perception linguistique et émotionnelle des enfants. Ils sont capables de comprendre les mots prononcés à travers les masques. Les enfants « compensent les déficits d’information plus facilement que nous ne le pensons » explique Leher Singh, psychologue à l’Université nationale de Singapour. Confirmé en cela par des chercheurs américains, qui reconnaissant que le masque complique la communication avec les adultes, les enfants assimilent les inférences adéquates. Également, même son de cloche pour Ashley Ruba que vous pouvez également suivre sur Twitter « Il y a beaucoup d’autres indices que les enfants peuvent utiliser pour analyser ce que ressentent les autres, comme les expressions vocales, les expressions corporelles, le contexte »

D’autres chercheurs ont voulu savoir si la pandémie pouvait affecter le développement des enfants avant la naissance. Plus de 8000 femmes enceintes ont été interrogées par l’équipe de Catherine Lebel , psychologue à l’université de Calgary (Canada). Près de la moitié présentaient des symptômes d’anxiété tandis qu’un tiers présentait un tableau de dépression. Ce pourcentage était plus élevé qu’avant la pandémie.

L’équipe canadienne a constaté à l’exament IRM que les bébés de 3 mois nés au cours de la pandémie de mères souffrant d’anxiété et de dépression, montraient des différences de connexion structurelle entre leur amygdale (zone impliquée dans le traitement émotionnel) et leur cortex préfrontal (zone impliquée pour les compétences de fonctionnement exécutif). Ors, lors d’une précédente étude, C.Lebel avait fait le lien entre la dépression pré-natale et son impact sur la connectivité cérébrale chez les enfants.

D’autres recherches ont fait le lien entre le stress pandémique prénatal et le développement de l’enfant. Ainsi Livio Provenzi, psychologue à la fondation IRCSS Mondino à Pavie (Italie) a observé que les bébés nés de mères stressées au cours de la pandémie régulaient plus difficilement leurs émotions, il était plus difficile à capter leur attention et plus difficiles à calmer que les bébés nés de mères plus sereines.

Thomason est plus réservée sur ces observations. Selon elle, cela ne signifie pas que les enfants présentant des problèmes de développement vont perdurer toute leur vie « Les enfants sont tellement adaptatifs et résilients. Et nous nous attendons à ce que les choses s’améliorent et qu’ils soient en mesure de résister à une grande partie de ce qui s’est passé », dit-elle. Si l’on en croit les recherches sur les catastrophes historiques, bien que le stress dans l’utérus soit nocif, il n’est pas forcément durable. L’exemple des enfants nés à la suite des inondations de Queensland en Australie de parents stressés est à citer. Certes, il y avait des déficits en résolution de problèmes et en compétences sociales quand ils avaient 6 mois, mais à deux ans et demi, les résultats n’étaient plus corrélés au stress car les parents avaient pris le dessus en étant réceptifs aux besoins de leur tout-petit.

Quelles conclusions en tirer concernant l’impact psychologique de la pandémie chez les enfants? Si leur cerveau est affecté?

Selon M.Thomason, « Les scientifiques s’empressent d’aller chercher une différence néfaste. C’est ce qui va attirer l’attention des médias; c’est ce qui va être publié dans une revue à fort impact », dit-elle.

« Le cerveau des enfants de six mois est très plastique, et nous pouvons agir dessus, et ainsi changer leur devenir.» dit Dumitriu, psychologue canadienne.

Et terminons sur ces popos prometteurs de Dan Deoni rappelant l’importance des 1000 premiers jours que j’ai déjà évoqué sur ce blog: « Les enfants sont certainement très résilients »…Mais en même temps, nous reconnaissons également l’importance des 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant comme étant les premiers fondements cruciaux. Les premiers bébés pandémiques, nés en mars 2020, ont à ce stade plus de 650 jours.»…Les enfants « sont modelés par leur environnement …Plus nous pouvons les stimuler, jouer avec eux, leur faire la lecture et montrer qu’on les aime, c’est ce qu’il faudra.»

Vidéo sur l’expérience « du visage impassible » d’Edward Tronick citée dans ce billet

LA RÉALITÉ VIRTUELLE DANS LA VIOLENCE DOMESTIQUE: POURQUOI PAS?

Ce type de dispositif virtuel a déjà été testé à la prison de Taragone en Espagne.

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Ma curiosité a été piquée par la diffusion, au 20H de TF1, d’un reportage sur un casque de réalité virtuelle réservé aux auteurs de violences conjugales. Pourquoi pas? Après tout, la réalité virtuelle fait partie de l’arsenal des thérapies modernes. Elle consiste en l’utilisation de plates immersives comme des visio-casques et autres supports high-tech permettant de créer des environnements virtuels créés par ordinateur pour « traiter des individus souffrant de troubles physiques et mentaux. Par exemple, les troubles anxieux. Donc cette annonce sur un casque de réalité virtuelle pour les auteurs de violences conjugales n’a rien d’étonnant et pourrait s’avérer un dispositif prometteur.

Il sera mis en place à partir du mois d’octobre. Son objectif est de limiter la récidive et sera testé sur une trentaine d’auteurs condamnés pour violences conjugales, suivis en milieu ouvert et sur la base du volontariat. Six détenus à Villepinte, dix à Lyon et 12 à Meaux. C’est la chancellerie qui a sélectionné les profils à risque de récidive. Par contre, sont exclus de l’expérimentation les détenus consommant des médicaments trop fort (je n’ai trouvé aucune précision à ce sujet), ceux alcooliques ou présentant des troubles psychiatriques sévères.

Le matériel virtuel a été mis au point par la jeune start-up lyonnaise Reverto qui veut lutter contre les discriminations et les risques psychosociaux. Le sexisme ordinaire. Cette start-up a reçu le prix de l’innovation Preventica. Bravo pour l’esprit d’entrepreneuriat mais voyons quels sont les points forts et ceux qui sont faibles dans cette prise en charge des violences conjugales.

Cette réalité virtuelle dite immersive (VR) induit des illusions perceptives de propriété de tout de tout le corps même si le corps virtuel ne correspond pas au genre, morphologie du participant. Avec cette réalité immersive, autrui devient « JE ».

Quel est le protocole de l’usage de ce casque virtuel supposé diminuer les récidives? Pendant une dizaine de minutes, avec son casque, le spectateur se retrouve immergé dans l’environnement d’un couple qu’il voit évoluer sur plusieurs années: l’attente du premier enfant, un diner ordinaire, un repas entre amis. Lors des sept séquences, la violence s’installe en crescendo. Tous les aspects de la mécanique des violences conjugales sont décortiqués: violence verbale puis physique, isolement, emprise mentale, etc.

Dans cette réalité virtuelle, le spectateur est invité à se mettre tour à tout dans la peau du conjoint violent, de la compagne et de l’enfant. Le but serait chez l’auteur des violences conjugales de susciter de l’empathie et une prise de conscience envers la compagne et l’enfant. Le principe de « cette réalité virtuelle qui ne se présente pas comme une thérapie »(du moins en France) repose sur le pouvoir de l’empathie et du vécu émotionnel. « Notre but n’est pas de traumatiser les gens, mais de provoquer une prise de conscience, explique Guillaume Clere, le concepteur de ce projet. Nous parions sur le ressenti. Nous pensons que la prochaine fois que la personne sera confrontée à une situation de harcèlement sexiste, le vécu émotionnel va remonter. Elle va se souvenir de ce qu’elle a vécu virtuellement et sera donc en état de mieux comprendre ce que les autres vivent réellement ».

Ce type de dispositif VR a déjà été testé à la prison de Tarragone en Espagne sous le label de VRespect de la société Virtual Bodyworks. Son directeur médical, Mavi Sanchèz, spécialiste en neurosciences, explique que les..« interventions renforcent les fondements de l’empathie comme l’amélioration de la capacité de l’agresseur à reconnaitre les émotions de sa victimes.» Et le réalisateur technique de Virtual Bodyworks s’est inspiré du jeu et des techniques hollywoodiennes.

Sur ce dispositif catalan, une étude intitulée « Les délinquants se mettent à la place de la victime dans la réalité virtuelle: impact du changement de perspective dans la violence domestique a été publiée dans la revue Nature en février 2018.

Cette étude (incluant une approche bayesienne) permet de reproduire sans danger pour le participant et dans le respect des règles de l’éthique la fameuse étude sur l’obéissance de Stanley Milgram. Il a été démontré que les auteurs de violence domestique présentent des stéréotypes et des distorsions cognitives concernant les femmes.

Comment s’est déroulée cette expérience espagnole ? Un groupe d’auteurs de violence domestique (N= 20) et un autre témoin sans antécédents de violence (N=19) ont assisté au même film virtuel. Les facultés de reconnaissance des émotions des participants ont été évaluées avant et après l’expérience virtuelle. Les résultats ont démontré que les délinquants peinaient à reconnaitre la peur sur les visages féminins et que les visages craintifs pouvaient être perçus comme des signes de contentement.

Le déficit de reconnaissance de la peur constatée dans le groupe des délinquants est conforme à plusieurs études qui ont montré une telle carence dans des états émotionnels négatifs dans des populations violentes. Il faut aussi rajouter que cette faible capacité à reconnaitre la peur englobe d’autres compétences sociales. Certaines régions du cerveau telles que l’amygdale pourraient être concernées.

Les auteurs de l’étude soulignent les limites de cette technologie virtuelle. Elles sont explicites dans leur message en fournissant des informations verbales plutôt qu’une expérience réelle et pourrait donc être moins performante si le délinquant a une faible capacité d’imagination ou est faiblement motivé. Et peut-être aussi dans le cas de certains détenus qui peuvent simuler l’empathie, les émotions sans véritable prise de conscience de cette violence qu’ils ont exercé envers leur compagne.

Quels sont les résultats de cette expérimentation espagnole? Sur les 184 auteurs de violences conjugales qui ont suivi pendant quatre ans ce programme, 22% ont chuté au cours de la phase virtuelle contre 6% qui ont suivi une rééducation classique. C’est incontestablement prometteur.

À côté de cela, les auteurs de l’étude publiée dans Nature ont cerné les limites de cette immersion en réalité virtuelle, et ils notent que des recherches futures devraient porter sur d’autres variables dont les traits de personnalité, la psychopathologie et la contagion émotionnelle.

L’utilisation de la VR est moins connue dans le contexte de la criminologie et de la psychologie légale, et sur ce point l’expérimentation française inspirée par l’expérience espagnole est à suivre avec grand intérêt. Il faut noter que ce type de technique a été utilisé avec des pédophiles. Jusqu’à ce jour, on connait surtout la VR dans le traitement des phobies, notamment au Canada.

Les études utilisant la RV dans un but psychothérapique s’appuient largement des postulats théoriques et méthodologiques des thérapies comportementales et cognitives (TCC). Elles sont basées succinctement résumé sur le conditionnement classique, le conditionnement opérant et conditionnement social avec comme noyau central des stratégies d’exposition, du moins dans les troubles anxieux.

Alors pourquoi pas la réalité virtuelle pour les auteurs de violence domestique? Mais on regrette que les médias n’aient pas interviewé pour l’instant les scientifiques du projet français. Certes, le garde des sceaux et le fondateur de la start-up Reverto Guillaume Clere, journaliste et réalisateur talentueux, ont présenté à grand renfort de tambours cette approche inédite, et elle est à suivre de très près. Mais j’aimerais également connaitre sur ce sujet le sentiment des médecins, psychiatres et psychologues qui ont charge les victimes de violence domestique, et qui ont l’occasion de rencontrer leurs agresseurs.

Vidéo sur la thérapie virtuelle

IL ÉTAIT UNE FOIS L’ÉVEIL, UNE HISTOIRE DE PANDÉMIE.

Dans les années 60, le neurologue Oliver Sacks va s’intéresser à ces survivants de l’encéphalite léthargique. il leur a consacré le livre « L’Éveil » et également tout un chapitre détaillé dans son livre testament « En mouvement, une vie ».

Image du film L’Éveil (1990)

Le SARS-COV-2 continue à flamber sur tous les continents. Plus de 530000 dans le monde. Les États-Unis sont le pays le plus touché avec 129 584 décès pour 2.818 588 cas. Après eux, les pays qui payent le plus lourd tribut sont sont le Brésil avec 63 174 morts, le Royaume-Uni avec 44 198 morts, l’Italie avec 34 854 morts, et la France avec 29 893 morts. Et le gouvernement français parle de nouveau de confinement ciblé cette fois-ci! Il y aurait 86 clusters en France même si le solde reste négatif en réanimation. « Quatre régions (Ile-de-France, Grand-Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Hauts-de-France) regroupent 73% des patients hospitalisés en réanimation».

C’est un lieu commun de dire que le SARS-Co2 n’est pas la première pandémie mondiale! Qui n’a pas entendu parler de la fameuse grippe espagnole qui a marqué l’inconscient collectif de ceux vécu nos aïeux, responsable de 25 à 50 millions de morts durant la première guerre mondiale causée par une mutation redoutable du virus en circulation H3N8 de la grippe, et qui contrairement à la Covid-19 dont l’âge de mortalité se situe autour 82 ans frappaient surtout les jeunes adultes de 25 à 29 ans. La grippe espagnole est aujourd’hui largement documentée et il existe moult articles de vulgarisation acceptables.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a coïncidé en 1916 avec l’épidémie d’encéphalite léthargique qui s’est manifesté entre 1915 et 1926. Des épisodes léthargiques vont être observés à Verdun en 1916 sur près de 64 soldats pris d’une irrésistible envie de dormir où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent. Cette étrange épidémie va se répandre comme une trainée de poudre et les hôpitaux vont se remplir de ces étranges dormeurs. En 1918, 500 cas vont être recensés en Europe. À Vienne, le neurologue Constantin Von Economico va se pencher sur cette étrange maladie dont les épisodes de sommeil ne sont pas les seuls symptômes. Les patients peuvent être atteints de tics, les yeux paraissent déconnectés du cerveau. Près de la moitié d’entre eux meurent d’une paralysie de leur système respiratoire. Le neurologue Constantin Von Economico va déterminer qu’il s’agit d’un gonflement du cerveau qui suscite l’endormissement, l’hypothalamus , la partie du cerveau responsable de l’éveil et de l’endormissement est hypertrophié. Les épisodes léthargiques ne sont pas les seules manifestations infernaux de cette maladie qui peut survenir à retardement après une rémission. Il a été observé des tics, des hoquets, des sautillements ou des tremblements invalidants incitant au suicide. Bradykénie ou akinésie. Et la maladie de Von Economico n’épargne pas les enfants qui modifie le comportement de ces enfants qui peuvent devenir agressifs, violents et hystériques et plonger dans un coma irréversible.

Dans les années 60, le neurologue Oliver Sacks va s’intéresser à ces survivants de l’encéphalite léthargique. il leur a consacré le livre l’Éveil et également tout un chapitre détaillé dans son livre testament « En mouvement, une vie », intitulé L’Éveil ». En 1966, à l’hôpital Beth Abraham dévolu aux malades chroniques, Oliver Sacks allaient prendre en charge 80 survivants de la pandémie d’encéphalite léthargique. Il les décrit comme « englués dans des états profondément parkinsoniens ou dans des postures catatoniques sans être inconscients; leur conscience s’étant figée au moment de l’apparition de la maladie. Certains de ces patients étaient dans le même état depuis 30 ans ou 40 ans, et l’ hôpital de Beth Abraham avait été ouvert pour les accueillir. Si ces hommes et ces femmes semblaient emmurés en eux-mêmes tels des statues, le personnel infirmier ne doutait pas un seul instant que leur psyché était intacte. Lors de moments brefs, certains patients alors incapables de marcher ou de chanter, s’animaient avec la musique. Chaque pensionnaire était différent et cela étant du au fonctionnement du cerveau aux niveaux les plus primitifs. Oliver Sacks évoque leurs comportements en les qualifiant de « préhistorique voire pré-humains. …des comportements fossiles, des vestiges darwiniens.»

Selon une approche clinicienne et holistique (scientifique, psychologique et existentielle), Oliver Sacks observait minutieusement tous ces patients méprisés par ses confrères, prenait des notes et les filmait. Il lui est venu petit à petit l’idée de leur consacrer un livre qui sera d’ailleurs publié quelques années plus tard sous le titre de l’Éveil. Mais l’aventure ne faisait que commencer avec ces patients post-encéphaliques! Ils étaient délaissés par leur famille et leurs dossiers médicaux dataient des années 1920/1930; ceci pour démontrer que les connaissances médicales de l’époque avaient été sans espoir pour les malades de cette terrifiante pandémie reléguée aux oubliettes.

À la fin des années 50, suivant l’état des connaissances médicales de l’époque, il avait été établi que le cerveau parkinsonien souffrait d’une carence en dopamine (un neurotransmetteur) grâce aux travaux du scientifique suédois Arvid Carlsson. La science médicale de l’époque pensait qu’en augmentant le taux de dopamine chez les malades parkinsoniens, leur état pouvait s' »améliorer. La L-Dopa, médicament précurseur de la dopamine (transformé en dopamine dans le cerveau) suscite d’immenses espoirs en augmentant le taux de dopamine dans le cerveau. Oliver Sacks cite les résultats remarquables du Georges Cotzias qui prescrit des doses importantes de L-Dopa chez les Parkinsoniens. Les horizons des Parkinsoniens vont s’élargir avec cette nouvelle molécule d’ailleurs toujours prescrite.

Il vient à l’idée d’Oliver Sacks que la L-Dopa pourrait être administrée à certains de ses patients post-encéphaliques dont certains états font penser à des Parkinsoniens. Le neurologue a pesé le pour et le contre, en se demandant si ce médicament ne risquait pas de dégrader l’état de ses patients ou d’avoir des effets secondaires inconnus.

Après l’accord de la FDA, le premier essai en double aveugle a lieu en 1967. 6 patients reçurent le placebo et les autres la L-Dopa durant 90 jours. 50 % d’échec démontrant que la L-Dopa n’avait aucun effet placebo.

Face à ces résultats décevants, il proposa de la L-Dopa à tous ses patients post-encéphaliques. Des patients qui étaient jusque là quasi inanimés s’éveillèrent durant l’été 1969, mais des effets secondaires et des complications eurent lieu et rendaient le traitement incontrôlable, et ce malgré l’ajustement de posologie.

Ce qui était frappant est que ces éveils sous L-Dopa étaient vraiment complets: physiques, intellectuels, perceptuels et émotionnels. Contredisant ainsi tous les concepts de la neuro-anatomie de l’époque. Pour Oliver Sacks , ces éveils montraient les limites de l’approche purement médicale et pharmacologique, et la dynamique propre à l’action d’un médicament chez les post-encéphaliques. ces éveils montraient quelque part la jonction entre le neurologique et le psychologique. Malgré les demandes de la FDA, il fut impossible à Oliver Sacks de faire des rapports circonstanciés sur les symptômes et réactions engendrées par l’administration de L-Dopa, il ne put que filmer et prendre des notes. Cela n’empêcha Oliver Sacks de trouver une approche novatrice pluridisciplinaire avec des psychologues, musicothérapeutes, travailleurs sociaux, orthophonistes pour tenter d’expliquer ces éveils.

En 1970, Oliver Sacks fit publier ces lettres dans The Lancet, et elles reçurent un accueil favorable par ses confrères; sur l’instigation du directeur médical de Beth Abraham, il publia dans le JAMA sous forme de statistiques les effets globaux de la L-dopa sur 60 patients l’ayant pris un an. Cette publication fut vivement critiquée dans un numéro spécial où ses confrères parlèrent de « divagations ». D’aucuns lui reprochèrent même de publier des informations susceptibles « de réduire l’efficacité de la L-Dopa en perturbant l’optimisme thérapeutique indispensable au traitement ». Oliver Sacks n’a pas pu répondre dans ce numéro spécial sur la sensibilité différente des post-encéphaliques de celle des Parkinsoniens à la L-dopa.

Mais il n’avait pas dit son dernier mot à ce sujet! En 1972, il publia dans un format «orthodoxe», une description des effets indésirables de la L-dopa chez ses patients atteints post encéphaliques et de démence, relatant que tous ces individus avaient développé les manifestations suivantes: «chorée, akinésie, psychose délirante ou stupeur / coma». Ces réactions sont survenues dans une moindre gravité chez les patients post-encéphaliques sans démence. Sacks et ses collègues ont réaffirmé la prudence de prescrire la L-dopa et a contre-indiqué son utilisation chez les patients déments 11 .

Avec son livre l’Éveil dont la publication fit l’objet de nombreuses tribulations, Oliver Sacks fut le lauréat 1974 du prix Hawthorden. Aucune recension dans les revues médicales sauf dans l’éphémère revue British Clinical Journal qui qualifia cette absence de réaction d’étrange mutisme de la profession. Un documentaire sur les patients, héros de l’Éveil fut tourné par Duncan Dallas en septembre 1973 avec la musicothérapeute de Beth Abraham, et il fut projeté en 1974 en Angleterre. Le seul héritage filmé sur les éveils de ces patients post-encéphaliques.

Je vais conclure ce post par une citation empruntée sur la recension que j’ai fort appréciée du livre l’Éveil trouvée sur le blog littéraire et passionné de Christine du « petit blogue sans prétention d’une lectrice compulsive » : « Et nous pouvons dire du parkinsonien que ses règles et horloges intérieures sont toutes faussées – comme dans le célèbre tableau de Salvador Dali représentant une multitude de montres dont les aiguilles avancent à des vitesses différentes et indiquent chacune des heures contradictoires (ce tableau est peut-être une métaphore du parkinsonisme: Dali le peignit à l’époque où il commençait à souffrir de troubles parkinsoniens). 

Vidéo de personnes souffrant d’encéphalite post-léthargique