GAGATORIUM, QUATRE ANS DANS UN MOUROIR DORÉ, UN LIVRE EN PLEIN DANS LE MILLE!

Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes.

Couverture du livre de Christie de Ravenne, auteur du livre « Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré ».

En novembre dernier, j’ai écrit un billet sur les conséquences délétères des restrictions sanitaires dans les résidences pour séniors en France et en Europe. Une tragédie pour les résidents et leurs proches qui n’ont pu être présents auprès d’eux! En France, avec la flambée des contaminations due au variant omicron, un certain nombre d’Ehpad ont refermé leurs portes pour confiner de nouveau les résidents pourtant dûment vaccinés avec les trois doses. Les visites sont de nouveau restreintes aux familles et de nombreuses activités sociales suspendues même en dehors des Ehpad. Tous les Ehpad ne sont pas concernés par ces mesures liberticides certes et les contradicteurs rétorquent que statisquement, il s’agit d’une minorité d’Ehpad! L’humain et la compassion ne se quantifient pas! X C’est encore trop et le bien-être des résidents? Leur moral?

Des gériatres sont vent debout contre ces mesures de confinement. La Société française de gériatrie et de gérontologie veut éviter « d’entraver les libertés des résidents »Dans un communiqué, elle demande de revoir les protocoles sanitaires dans les Ehpad car « nous ne sommes plus face au même virus » avec la circulation du variant Omicron. « Nous ne pouvons donc plus apporter les mêmes réponses médicales sur le terrain que celles que nous apportions face au variant Delta », assure la Société de gériatrie. 

Adeline Comas-Herrera, économiste de la politique du vieillissement, a constaté que de nombreux pays européens avaient été trop loin dans les restrictions sanitaires envers les résidents de maisons de retraite. Elle appelle de ses voeux « que lorsqu’une personne se rend dans une résidence, elle continue d’avoir le droit à une vie de famille et de décider de son quotidien.» C’est manifestement raté quand les témoignages des familles s’accumulent. Sans se faire d’illusions, on se dit que si actuellement si ce n’est pas « joyeux », avec le temps, les conditions de vie des séniors dans les résidences (ou dans d’autres structures plus accueillantes) s’amélioreront après une remise à plat de ce modèle institutionnel en faisant pression sur les instances gouvernementales. L’approche envers la prise en charge des grands séniors dans les Ehpad est obsolète, c’est ce qu’a montré la pandémie.

Si la pandémie l’a mise au grand jour, la maltraitance physique et psychologique des personnes âgées dans le milieu institutionnel ne date pas d’hier. L’actualité l’illustre encore avec la sortie du livre Les Fossoyeurs, Révélations sur le système qui maltraite nos aînés (publié chez Fayard) du journaliste et réalisateur Victor Castanet. Il y dénonce les conditions épouvantables dans lesquelles vivent les séniors dépendants des maisons de retraite du système Orpea! Il ne prétend pas que dans tous les Ehpad privés, les résidents sont maltraités mais il veut montrer que pour certains décideurs la vieillesse est devenue, selon lui, un filon lucratif au détriment du bien-être des résidents. Quelques extraits de ce brûlot qui fait le buzz sont partagés sur twitter. Je n’ai pas lu ce livre mais les extraits publiés dans le presse sont éloquents. Ce que vivent les résidents est innommable.

Et pourtant d’autres livres sur la maltraitance du grand âge ont déjà lancé l’alerte. Il y a celui de François Nénin et de Sophie Lapart, sorti en 2011, L’Or Gris. « Un gisement d’or gris qui marge à 25%« peut-on lire sur la quatrième de couverture. « Ce secteur du grand âge est un archaïsme en France. On traite nos aînés de façon totalement archaïque et selon des standards très éloignés de ce que l’on pourrait attendre parce que vous n’avez pas le choix.»

Des solutions existent. C’est ce à quoi s’emploie Le gériatre Thierry Le Brun qui a rédigé le guide Améliorer la qualité et le bien-être en Ehpad. Approche humaniste et holistique dans les Ehpad. Évidemment, moins médiatisé que le livre de Victor Castanet, mais il y a une mine de propositions à mettre entre les mains des acteurs de la santé. Pour l’auteur, il est important de valoriser l’accompagnement aux résidents. Dans une interview qui figure sur le site de la maison d’édition Le Coudrier, il cite le cas d’une résidente qui regarde la télévision tard dans la nuit. Pour Thierry Le Brun, tout doit être mis en oeuvre jusque dans les moindres détails dans l’Ehpad pour que cette résidente puisse la regarder à sa guise.

Je n’ai pas attendu l’actualité pour me sensibiliser à la maltraitance institutionnelle des séniors dépendants. L’un des livres sur la maltraitance des séniors qui m’a marqué est celui de Christine de Ravenne, publié en 2013, Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré. Déjà, le néologisme de gagatorium fait mouche en illustrant à lui l’infantilisation des personnes âgées et préfigure la maltraitance sous toutes ses formes. J’avais déjà fait une recension de ce livre sur mon blog et je la partage de nouveau car s’il est sorti en 2013, il reste malheureusement d’actualité.

Avec verve, cette ancienne journaliste et conseillère en formation auprès d’entreprises, surnomme l’EPHAD où elle a séjourné « gagatorium ». Cette pétulante sénior de quatre vingt ans, à l’époque, avait décidé de prendre la plume pour dénoncer les conditions de vie dans certains EPHAD.

Quelques extraits forts de ses propos donnent le ton de la vie dans cette maison de retraite bretonne: « J’ai 80 ans et je ne supporte pas d’être enfermée, même dans un mouroir doré sur tranche. Si je sors vivante de mon gagatorium, me suis-je promis, je témoignerai pour tous les vieux qui n’ont pas la parole. Après quatre ans de cauchemar, j’ai enfin pu m’évader de la résidence privée et très bling-bling de Ker-Eden. Mais j’y ai laissé ma santé et mon modeste patrimoine. Aujourd’hui, j’accuse ! J’accuse la mafia de “l’or gris” de commettre bien des abus, en toute impunité, et d’exercer une maltraitance physique, morale et financière sur les vieux. J’accuse les pouvoirs publics, responsables du vide juridique abyssal qui permet tous ces abus. J’accuse les familles, trop souvent indifférentes, qui ferment les yeux. Malmenés, plumés, bâillonnés, ce sont vos parents qui vivent dans des gagatoriums. Demain, si vous n’y prenez garde, ce sera vous. »( sur Babelio)»

J’ai trouvé cette recension de lailasambiru sur le site Babelio: Ce livre pose toute la question des conditions réelles de vie en maison de repos, plus précisément ici en « résidences de luxe », et essaie de nous décrypter quelques-unes des arnaques qui y règnent en maitres. Le texte est vindicatif, agressif, mais oh combien réaliste et nous montre que le souhait d’une vie paisible avant la mort, en profitant de ses efforts durant la vie active, n’est pas toujours d’actualité dans ce type d’endroit. J’ai particulièrement apprécié le style vivant, sans retenue de l’auteur, qui nous décrit très bien sa lutte mentale et physique pour ne pas devenir un objet, à la merci du mépris, du manque de considération et d’humanité des responsables de ces établissements. Une excellente réflexion et une lecture à recommander.

Continuer à lire … « GAGATORIUM, QUATRE ANS DANS UN MOUROIR DORÉ, UN LIVRE EN PLEIN DANS LE MILLE! »

L’IMPACT DE LA PANDÉMIE SUR LE CERVEAU DES ENFANTS.

En portant un masque, les enfants « compensent les déficits d’information plus facilement que nous ne le pensons » explique Leher Singh, psychologue à l’Université nationale de Singapour.

Photo de Sharon McCutcheon sur Pexels.comUn ar

Un récent article dans la revue Nature, écrit par la rédactrice scientifique Melinda Wenner Moyer, évoque l’impact psychologique de la pandémie chez les enfants. Les lecteurs sont libres de ne pas être d’accord sur son contenu mais cet éclairage est intéressant. Voici les points forts de cet article avec quelques libertés d’écriture personnelles.

La pédiatre Dani Dumitrieu (que vous pouvez suivre sur Twitter) et son équipe du New-York Presbyterian Morgan Stanley Children’s Hopital (NYC) appréhendaient les effets délétères du Covid-19 chez les nouveaux-nés de son hôpital comme cela avait pu se produire avec le virus du Zika. Comme les autres médecins, elle recherchait les éventuelles malformations dues au virus. Avant la pandémie, le Dr D.Dumitrieu analysait la communication et les capacités motrices des bébés jusqu’à l’âge de 6 mois. Avec l’aide de sa collègue Morgan Firestein, elle a comparé ces données pour les bébés nés avant et après la pandémie pour savoir s’il existait des différences de développement neurologique entre les deux groupes.

M.Firestein a vite constaté que l’effet de la pandémie était important. Les bébés nés après la pandémie avaient des scores inférieurs aux test de motricité globale et de communication à ceux nés avant. Les parents avaient évalué leur enfant à l’aide d’un questionnaire pré-établi. Il se passait manifestement un effet délétère indépendant du fait que les parents aient été infectés ou non par le virus.

Les deux chercheuses étaient aux quatre cent coups car il s’agissait de millions de bébés qui pouvaient être éventuellement concernés. Si les bébés infectés par le virus se portent généralement bien, des recherches suggéraient que le stress lié à la pandémie pendant la pandémie pouvait impacter le développement du cerveau foetal chez certains enfants. De plus les adultes épuisés et stressés en charge des enfants pouvaient moins interagir avec ces nourrissons affectant ainsi leurs capacités physiques et cognitives décisives dès le plus jeune âge.

Les contraintes sanitaires ont isolé de nombreux jeunes parents, limitant les interactions sociales avec leurs bébés, et du fait qu’ils jouaient moins avec eux. De même, les soignants stressés et surchargés de travail n’ont pas pu consacrer le temps qu’ils auraient voulu à chaque nourrisson et tout-petit, pourtant indispensable à son équilibre psychologique.

Certaines équipes commencent à publier leurs conclusions, souvent sans réponses ferme. Certains bébés nés ces deux dernières années pourraient avoir des retards de développement tandis que d’autres, non. Tout dépend des occasions plus ou moins grandes d’interactions sociales, et les disparités sociales et économiques ont joué un rôle. Les premières données suggèrent déjà que que l’utilisation du masque n’a pas affecté le développement émotionnel de l’enfant. Par contre, on sait que le stress pré-natal peut contribuer à modifier la connectivité cérébrale. Mais il n’y a aucune certitude car il reste de nombreuses études à évaluer par les pairs, et la pandémie est loin d’être terminée malgré la vaccination des adultes et des enfants disparate suivant les pays.

Selon certains chercheurs, ce retard de développement constaté serait transitoire. Comme le déclare Moriah Thomason, psychologue pour enfants et adolescents à la Grossman School of Medicine de l’Université de New York, « je ne m’attends pas à ce que nous découvrions qu’il y ait une génération d’enfants affectée par cette pandémie.»

Le laboratoire d’imagerie avancée pour bébés de l’Université de Brown à Providence (Rhone Island) s’est penché sur les facteurs environnementaux pouvant façonner le développement du cerveau chez les nourrissons. Durant la pandémie, San Deoni, biophysicien et ses collègues ont eu la chance de continuer à suivre les compétences motrices, visuelles et linguistiques de bébés dans le cadre de leur recherche prévue sur sept ans sur le développement de la petite enfance et ses effets sur la santé ultérieure. Elle et ses collègues constatent qu’il fallait plus de temps aux enfants pour passer ces évaluations. Ils étaient manifestement plus lents.

San Deoni a demandé à ses chercheurs de comparer les moyennes annuelles des scores de développement neurologique des bébés à l’aide d’une batterie de tests similaire au QI. Les enfants nés lors de la la pandémie ont obtenu deux écarts-types inférieurs par à rapport à ceux nés avant. Dans des familles à faible revenu, plus chez les garçons que les filles, et touchait principalement la motricité.

Face à ces résultats, des chercheurs affirmèrent que ces scores n’étaient pas nécessairement prédictifs au long cours. Marion van den Hevel, neuropsychologue de l’Université de Tilbourg (Pays Bas) déclara que le « QI d’un bébé ne prédisait pas grand chose». Elle s’appuie sur une étude concernant les filles élevées dans un orphelinat roumain, et qui ensuite adoptées avant l’âge de deux ans et demie étaient moins susceptibles à l’âge de quatre ans et demie de présenter des troubles psychiatrique que celles restées dans l’orphelinat. Suggérant ainsi que lors de la levée des restrictions sanitaires, il en sera de même pour les enfants nés lors de la pandémie.

Dan Deoni continue sur sa lancée en affirmant que plus la pandémie se poursuit, plus les déficits cognitifs s’accumulent. Les recherches de D.Deoni ont eu une forte couverture médiatique suscitant des critiques de la part de ses confrères. D.Deoni pense que ces déficits cognitifs proviennent d’un manque d’interactions humaines. Les échanges verbaux entre les parents et leur enfant et vice-versa au cours des deux dernières années ont été moindre par rapport aux années précédentes. Les enfants pratiquent moins la motricité globale car ils ne jouent pas régulièrement avec d’autres enfants et ne fréquentent plus les jardins d’enfant.

Dans cette veine, des chercheurs anglais ont constaté que les compétences des enfants étaient plus fortes s’ils avaient fréquenté régulièrement une garderie ou une école maternelle. Les enfants à risque sont ceux de familles défavorisées et issus de minorités ethniques. Un nombre croissant de chercheurs ont suggéré que chez les enfants scolarisés, l’enseignement en distanciel pouvait creuser un écart entre des enfants nés dans foyer aisés et les autres nés dans des foyers défavorisés. Au Pays-Bas, il semblerait que les enfants obtiennent de moins bons résultats aux évaluations nationales en 2020 par rapport aux trois années pécédentes, et que les déficits d’apprentissage étaient de l’ordre de 60% pour les enfants de milieux moins favorisés.

En Éthiopie, au Kenya, au Liberia, en Tanzanie et en Ouganda, les enfants auraient perdu une année de scolarisation. Aux USA, après le premier confinement, les enfants de minorités ethniques auraient trois à cinq mois retard d’apprentissage par rapport aux autres.

Où en est-on avec le port du masque chez l’enfant qui fait débat en France dans les médias mainstream et sur les plateaux TV? Ce qui est écrit dans l’article de Nature est sujet à réflexion!

Le masque qui occulte une partie du visage pour exprimer les émotions et la parole, est-il susceptible d’affecter l’apprentissage émotionnel et linguistique des enfants?

Ô surprise, les enfants en contact avec d’autres enfants ont pu interagir avec un masque!

Edward Tronick, célèbre pour son expérience en 1975 du paradigme du visage impassible (Still face experiment) s’y est collé et a voulu savoir si les résultats de son expérimentation s’appliquaient au port du masque. Avec sa collègue, Nancy Snidman, il a demandé à des parents de filmer avec un smartphone leurs interactions avec leurs enfants avant, pendant et après avoir mis un masque. Les enfants remarquaient bien que leurs parents portaient un masque, et même s’ils changaient d’expression faciale, ils continuaient néanmoins à interagir avec leurs parents comme si de rien n’était. Selon E.Tronick, le masque ne bloquerait qu’un seul vecteur de communication.

Il semblerait que les masques n’interfèrent pas avec la perception linguistique et émotionnelle des enfants. Ils sont capables de comprendre les mots prononcés à travers les masques. Les enfants « compensent les déficits d’information plus facilement que nous ne le pensons » explique Leher Singh, psychologue à l’Université nationale de Singapour. Confirmé en cela par des chercheurs américains, qui reconnaissant que le masque complique la communication avec les adultes, les enfants assimilent les inférences adéquates. Également, même son de cloche pour Ashley Ruba que vous pouvez également suivre sur Twitter « Il y a beaucoup d’autres indices que les enfants peuvent utiliser pour analyser ce que ressentent les autres, comme les expressions vocales, les expressions corporelles, le contexte »

D’autres chercheurs ont voulu savoir si la pandémie pouvait affecter le développement des enfants avant la naissance. Plus de 8000 femmes enceintes ont été interrogées par l’équipe de Catherine Lebel , psychologue à l’université de Calgary (Canada). Près de la moitié présentaient des symptômes d’anxiété tandis qu’un tiers présentait un tableau de dépression. Ce pourcentage était plus élevé qu’avant la pandémie.

L’équipe canadienne a constaté à l’exament IRM que les bébés de 3 mois nés au cours de la pandémie de mères souffrant d’anxiété et de dépression, montraient des différences de connexion structurelle entre leur amygdale (zone impliquée dans le traitement émotionnel) et leur cortex préfrontal (zone impliquée pour les compétences de fonctionnement exécutif). Ors, lors d’une précédente étude, C.Lebel avait fait le lien entre la dépression pré-natale et son impact sur la connectivité cérébrale chez les enfants.

D’autres recherches ont fait le lien entre le stress pandémique prénatal et le développement de l’enfant. Ainsi Livio Provenzi, psychologue à la fondation IRCSS Mondino à Pavie (Italie) a observé que les bébés nés de mères stressées au cours de la pandémie régulaient plus difficilement leurs émotions, il était plus difficile à capter leur attention et plus difficiles à calmer que les bébés nés de mères plus sereines.

Thomason est plus réservée sur ces observations. Selon elle, cela ne signifie pas que les enfants présentant des problèmes de développement vont perdurer toute leur vie « Les enfants sont tellement adaptatifs et résilients. Et nous nous attendons à ce que les choses s’améliorent et qu’ils soient en mesure de résister à une grande partie de ce qui s’est passé », dit-elle. Si l’on en croit les recherches sur les catastrophes historiques, bien que le stress dans l’utérus soit nocif, il n’est pas forcément durable. L’exemple des enfants nés à la suite des inondations de Queensland en Australie de parents stressés est à citer. Certes, il y avait des déficits en résolution de problèmes et en compétences sociales quand ils avaient 6 mois, mais à deux ans et demi, les résultats n’étaient plus corrélés au stress car les parents avaient pris le dessus en étant réceptifs aux besoins de leur tout-petit.

Quelles conclusions en tirer concernant l’impact psychologique de la pandémie chez les enfants? Si leur cerveau est affecté?

Selon M.Thomason, « Les scientifiques s’empressent d’aller chercher une différence néfaste. C’est ce qui va attirer l’attention des médias; c’est ce qui va être publié dans une revue à fort impact », dit-elle.

« Le cerveau des enfants de six mois est très plastique, et nous pouvons agir dessus, et ainsi changer leur devenir.» dit Dumitriu, psychologue canadienne.

Et terminons sur ces popos prometteurs de Dan Deoni rappelant l’importance des 1000 premiers jours que j’ai déjà évoqué sur ce blog: « Les enfants sont certainement très résilients »…Mais en même temps, nous reconnaissons également l’importance des 1 000 premiers jours de la vie d’un enfant comme étant les premiers fondements cruciaux. Les premiers bébés pandémiques, nés en mars 2020, ont à ce stade plus de 650 jours.»…Les enfants « sont modelés par leur environnement …Plus nous pouvons les stimuler, jouer avec eux, leur faire la lecture et montrer qu’on les aime, c’est ce qu’il faudra.»

Vidéo sur l’expérience « du visage impassible » d’Edward Tronick citée dans ce billet

LE TOUCHER THÉRAPEUTIQUE, UNE MÉTHODE QUI A REMPORTÉ UN NOBEL IGN!

Le Toucher Thérapeutique est une version de l’antique imposition des mains, un geste rituel et sacramentel signifiant un transfert d’énergie ou de puissance, sans connotation religieuse. La médiumnité.

Dans leur livre Crazy Therapies, la psychologue Margaret Singer et la sociologue Janja Lich ont dénoncé en leur temps et sans concession les thérapies du New Age fondées sur la pseudo-science et la pensée irrationnelle bien loin de critères méthodologiques et scientifiques requis sur lesquelles reposent la psychiatrie et la psychologie.

La liste de ces thérapies alternatives est longue, et est un puits sans fond. En lisant un article publié sur l’excellent site The Skeptic, j’en ai trouvé une forte éloquente! Il s’agit du Toucher Thérapeutique, méthode créée en 1972 en pleine période du New Age. « Une nouvelle arnaque venue des États-Unis ». Il touche le domaine infirmier et s’inclut dans les pratiques alternatives.

Le Toucher thérapeutique (TT) est approuvé par de nombreuses associations d’infirmières au Canada, et cette technique est « appliquée dans de nombreux hôpitaux, enseignée, selon le site de Passeport Santé, dans plus de 100 universités et collèges, dans 75 pays à travers le monde. Diable! Quel succès! C’est le monde infirmier concerné en premier lieu, il y a une explication fort simple à sa diffusion dans ce milieu paramédical. Elle est probablement le résultat de l’entregent d’une infirmière qui a mis au point le Toucher Thérapeutique…et qui a établi un partenariat avec…une guérisseuse adepte des sciences occultes devant l’éternité.

Il s’agit respectivement de Dolorès Krieger, professeure de sciences infirmières à l’université de New York et de Dora Van Gelder Kunz occultiste, guérisseuse intuitive et présidente de la Société de Théosophie de 1975 à 1989. Dora dialoguait couramment avec les fées dans Central Park, et forte de son expérience, elle en fit un livre « Le vrai monde des fées » publié en 1977. En plein boum du New Age !

Dora Kunz va devenir le guide spirituel de l’infirmière Dolorès Krieger. Cette dernière devait également être théosophe si l’on en croit le financement qu’elle reçut de la société de thésophie plus tard pour développer la méthode du Toucher Thérapeutique. Les deux femmes ont collaboré avec des allergologues, des immunologies et semblerait-il avec des neuropsychiatres. Il faut noter la participation active de Bernard Grad, un biologiste canadien qui a expérimenté le domaine de la guérison paranormale, et qui s’est intéressé un temps à la théorie pseudo-scientifique de l’énergie de l’orgone postulée par le disciple dissident freudien Wilhem Reich. Bernard Grad avait l’habitude depuis la mort de sa fille de s’entourer de guérisseurs. Devenu professeur agrégé à l’Université du Québec, il a acquis sa notoriété pour ses recherches sur le cancer.

Le TT fondé par Dolorès Krieger et Dora Van Gelder Kunz a remporté un prix! Celui du prix Ig-Nobel! L’ignobel (jeu de mots en prix Nobel et adjectif en anglais ignobel) honore des scientifiques, des institutions, des personnalités publiques ou même d’illustres inconnus pour des recherches qui ne peuvent pas ou ne devraient pas être reproduites!

Dans cette méthode aux incontestables relents ésotériques, l’un des fondements théoriques repose sur l’existence d’un champ énergétique comme le Chi des Orientaux, le prana sanskrit en relation avec le souffle et les chakras, des roues énergétiques. Le TT est une méthode qui débloquerait les énergies du champ énergétique. Souligné par le site The Skeptic, ces références orientalistes seraient moins évoquées actuellement pour ne pas provoquer l’ire du milieu académique des soignants. À moins qu’il ne s’agissse d’un effet « cheval de Troie, fort courant dans les pratiques de thérapie du New Age.

Comment se présente la technique du TT? Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas de contact direct avec le client: -L’intervenant se centre intérieurement, et après cette phase de recueillement, il évalue l’état du champ énergétique de son client grâce à l’énergie de ses mains, et aux fins d’élimination des scories, il effectue un balayage du champ énergétique. Pour rééquilbrer le champ énergétique, l’intervenant va projeter des pensées, des sons et des couleurs apaisantes.

Ne tergiversons pas, le TT est une version moderne de l’antique imposition des mains, un geste rituel et sacramentel signifiant un transfert d’énergie ou de puissance, sans connotation religieuse. La médiumnité.

Pire encore, le TT a une similitude trompeuse ou encore ce qu’on appelle un faux ami avec d’autres méthodes de massage pratiquées par des kinésithérapeutes par exemple, qui sans être prouvées suivant les règles de l’Evidence Based Medecine sont « acceptables », ô combien même si on est un sceptique acharné envers les thérapies alternatives et complémentaires.

Il y a notamment celle du toucher-massage, développée dans les années 80. Le toucher-massage (TM) est une marque déposée et développée en 1986 par Joël Savatofski, masseur-kinésithérapeute et psychologue de formation. Il a fondé l’École Européenne de Toucher-Massage, un institut d’enseignement et de recherche pédagogique sur l’art de masser. Il forme les soignants aux attitudes bienveillantes et aux gestes favorisant le bien-être par le massage pour accompagner les patients dans les meilleures conditions. Le TM est un soin d’accompagnement, non médicamenteux, centré sur la personnes plutôt que sur sa maladie. Elle s’apparente au courant humaniste et proche du potentiel humain qui a toute sa place dans l’arsenal des psychothérapies quand ce n’est pas dévoyé (ce qui est une autre histoire).

Ainsi, à l’initiative d’Armelle Simon, infirmière sophrologue au service d’hématologie du CHU de Nantes, le Toucher-Massage est introduit comme soin de support pour les personnes atteintes de cancer. Le TM s’avère bénéfique chez les personnes atteintes de leucémie et confinées parfois six semaines dans une chambre stérile avec des contacts physiques réduits pour éviter les infections. En 2015, Armelle Simo, a évalué sur 62 volontaires la baisse de l’anxiété après une séance de TM sur l’échelle de Spielberger. L’anxiété baissait de 11,5 sur la dite échelle qui va de 20 à 80 contre 0,9 points pour un groupe. Une pratique acceptable, donc! Et évoquons en un mot les unités de soins palliatifs où ce type de massage a toute sa place car la fin de vie est un moment particulier.

Incontestablement, le vocable toucher-massage englobe en général toutes les formes de massothérapie, signifiant étymologiquement le massage qui soigne et pratiqué par des kinés. Après, si le mot de massothérapie gêne, retenez celui de massage qui est générique. D’où la nécessité de démarquer la massothérapie de la technique new age du Toucher thérapeutique et de ses dérivés. Les bienfaits de la massothérapie sont innombrables. Notamment sur l’anxiété, pour soulager des douleurs lombaires et musculaires et améliorer la qualité de vie des cancéreux.

Dès les années 1980, les travaux sur les prématurés de la psychologue Tiffany Field de l’université de Miami ont montré les bénéfices du massage. Les bébés massés après leur naissance pendant 5 à 15 jours prenaient plus de poids que les autres et étaient hospitalisés en moyenne 3 à 6 fois de moins. Ce mode opératoire élaboré par Tiffany Field serait appliqué dans 38% des services de néonatalité américains. En 2009, l’équipe du neurologue Andrea Guzetta de l’université de Pise a montré que les effets des massages sont tout aussi efficaces quand ils sont pratiqués par la mère que par les soignants. Le psychanalyste John Bowlby, connu pour sa théorie de l’attachement du nourrisson avait mis en évidence les besoins fondamentaux des nouveaux-nés au niveau des contacts physiques, nécessaires pour développer une relation d’attachement bénéfique à un développement social et émotionnel optimum.

Sur Pubmed, on trouve des articles consacrés aux thérapies complémentaires et tactiles en pratique infirmière, et ô surprise, elles portent le label « holistique ». Par là, incluant l’individu dans sa globalité incluant dimension de la psyché autre que le corps et la maladie, et ce terme est propre à la pensée new age. Il existe d’ailleurs un journal officiel de l’American Holistic Nurses Association et l’on trouve dans cette association des propositions de formations en aromathérapie, le TT/guérisseur (le Nobel Ign), la médiation, la visualisation, le yoga et le Taï Chi. Le ton est donné!

Si manifestement, il existe des études sur le TT et ses effets sur l’anxiété, il est constaté qu’aucun essai contrôle randomisé ou quasi-randomisé n’a été identifié. Donc circulez, il n’y a rien à voir! Tous ces articles répertoriés dans Pubmed montrent que malgré l’absence de colonne vertébrale scientifique, ces thérapies complémentaires et alternatives sont de plus en plus pratiquées introduites dans le milieu hospitalier, et font partie de l’arsenal infirmier. Sont-elle les bienvenues ou décriées? Sont-elles l’occasion de nouer une alliance thérapeutique avec les patients, d’entrer dans cette dimension subjective de la relation soignant/soigné? Question d’éthique! Faut-il être tolérant envers ce type de pratique comme le TT même si ça fait du bien au patient? Insister sur leur inocuité?

Alors, revenons à l’article de Mahlon Wagner du site Skeptic, et même si ça ne concerne pas la France, ce qui est écrit est factuel. Il cite un certain Dr Imre Kerner qui veut réguler la formation en TT en exigeant des praticiens de TT une formation initiale en soins infirmiers ou en médecine. C’est une pratique souvent utilisée dans des formations non académiques de demander à des praticiens ou des psychothérapeutes de rentrer dans un cadre formel avec des diplômes officiels. Un cheval de Troie idéal. I.Kerner a des liens avec une église spiritualiste fondée par une guérisseuse et voyante autoproclamée et aussi avec un chaman. Sans compter ses diatribes antiscience et il accepte bien que le TT repose sur la médecine énergétique. Tout un programme pseudo-scientifique.

Le Toucher Thérapeutique mérite bien son prix Nobel IGN.